Colette Roumanoff à Ploemeur

Chaque année, les professionnels de la résidence mutualiste de Kerloudan et son « Accueil de Jour » organisent deux conférences grand public sur des thèmes différents. Pour la seconde conférence de 2018, ils ont souhaité inviter Colette Roumanoff, auteure de nombreux ouvrages sur la maladie d’Alzheimer. Elle s’est prêtée au jeu des 3 questions.

Comment voyez-vous l’approche de la maladie d’Alzheimer en France ?

L’actualité récente est le déremboursement des médicaments spécifiques. Ils ne guérissent pas mais ce n’est pas une raison suffisante pour les abandonner. Ils peuvent, s’ils sont bien supportés, apporter un confort de vie aux malades, un confort précieux qui permet dans bien des cas d’éviter la prise de neuroleptiques, qui elle accélère la dégénérescence des neurones.

Je crois qu’il y a beaucoup de choses à changer sur la manière de se comporter avec les malades qui pour beaucoup sont privés de leur liberté de mouvements, bien trop tôt, souvent dès que le diagnostic est posé. On s’inspire pourtant d’expériences menées au Canada et en Belgique où ce qui est privilégié, c’est l’idée de proposer aux patients une vie qui ressemble un peu plus à une vie normale. Par exemple dans certains EPHAD on leur fait plier des serviettes, on les invite à mettre la table (on appelle cela des activités occupationnelles). Toutes sortes d’initiatives voient le jour : l’art-thérapie, la musicothérapie, les animaux thérapeutiques, les poupées thérapeutiques, les cuisines thérapeutiques. Ce sont autant de manières d’essayer compenser la vie tronquée qui reste le lot de la plupart des malades. L’importance excessive donné à la « sécurité » entraîne des contraintes qui peuvent être très mal vécues.

Pourquoi avez-vous décidé de réagir face à cette maladie différemment ?

Au début, j’ai beaucoup galéré parce que je ne comprenais rien, avant de remarquer qu’il y a des choses qui améliorent le malade et d’autres qui aggravent son état. Un malade Alzheimer ne supporte ni le stress ni les reproches, il est amélioré par toutes les activités qu’il peut faire aisément et par les compliments.

J’ai proposé de donner un nouveau nom à cette maladie de l’appeler LA CONFUSIONITE, titre que j’ai donné à une pièce de théâtre, co-écrite avec ma fille Valérie et qui se joue depuis 2014. Dans le quotidien, ce n’est pas la mémoire qui pose problème, c’est la perte des repères qui amène le malade à confondre des choses qui se ressemblent mais dont l’usage est différent, par exemple un tournevis et un couteau, une éponge et une tranche de pain, une robe et une chemise de nuit. Il faut laisser tomber l’idée de démence et considérer simplement que la maladie d’Alzheimer est une maladie de la gestion de l’information et que cette maladie comporte de nombreux stades avec des possibilités d’apprentissage. Aussi bizarre que le comportement paraisse au premier abord, il est possible de le comprendre de l’expliquer et d’y remédier.

Que doit-on mettre en œuvre pour bien vivre avec un malade ?

Au fur et à mesure que le malade perd les repères dans sa vie pratique sa sensibilité affective s’accroit. Il ressent très fort la manière dont on le considère, dont on le regarde, la place qu’on lui donne ou qu’on lui prend. Tout est une question de contexte et de circonstances particulières. L’agressivité dont on parle beaucoup est un signal d’alarme, de même que les questions répétitives. Il faut savoir décoder les comportements problématiques, comme le refus de soin ou le refus de communiquer. Il faut considérer la vie qui est faite au malade, voir en détail comment se passe ses journées. Y a-t-il plus de frustrations que de satisfactions ? Qu’est ce qui lui ferait plaisir, de quoi a-t-il besoin pour se sentir bien, ou simplement un peu mieux ?

La personne qui accompagne sert d’interface entre le monde extérieur et le malade, il faut que le monde extérieur reste accueillant, que le malade s’y sente en sécurité. Vivre avec un malade apaisé et de bonne humeur n’est pas très difficile. Si ce n’est pas le cas tout devient trop compliqué à chaque instant de la journée. On ne peut pas raisonner le malade ni lui demander de s’adapter à toutes sortes de contraintes. Chaque fois qu’on se heurte à un obstacle, il faut essayer de le contourner en changeant par exemple l’emploi du temps des journées ou quelques détails dans l’environnement.  Ainsi, en respectant la dignité du malade, en répondant à ses besoins, on peut obtenir une collaboration active, qui peut devenir une collaboration joyeuse, quel que soit l’état d’avancement de la maladie.

Le malade vit dans le présent, dans le concret, avec un rythme qui n’est pas celui de notre société actuelle, emportée par des flots continus d’informations chargées d’inquiétudes ou de menaces. Et c’est peut- être le plus important, en présence d’un malade Alzheimer on peut se poser dans le moment présent et vivre une relation affective à double sens. Pour cela il faut d’abord accepter le changement énorme qu’apporte cette maladie. Ensuite réaliser que la malade a des perceptions différentes des nôtres, ce qui n’empêche pas la communication à la condition expresse de ne jamais lui reprocher sa maladie.

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