Une étude sur les aidants en Bretagne

Frédéric Pugnière-Saveedra, enseignant-chercheur en sciences du langage à l’Université de Bretagne-Sud

Qui sont les aidants ? Quelles difficultés rencontrent-ils et quelles sont leurs attentes ? Questions simples avec autant de réponse que de situations personnelles différentes. Frédéric Pugnière-Saveedra apporte un éclairage grâce aux entretiens qu’il mène depuis 2017 en Bretagne Sud.

Frédéric Pugnière-Saveedra, enseignant-chercheur en sciences du langage à l’Université de Bretagne-Sud, mène une étude sur le vécu des aidants de malades d’Alzheimer depuis 2017 en Bretagne Sud.

Dans le cadre de vos travaux de recherche, vous rencontrez régulièrement des aidants (une centaine depuis quatre ans), à l’occasion d’entretiens individuels. Quels sont leurs profils ?

On distingue plusieurs types d’aidants : les aidants familiaux – la fratrie est aidante ; les aidants individuels ; les aidants jeunes – le malade a moins de 65 ans, il dépend, dans certains départements, de la cellule du handicap ; les aidants dont le malade se rend une fois par semaine en accueil de jour, d’autres avec le malade en EHPAD – pour eux la charge mentale persiste, même si le malade n’est plus à la maison.

Les femmes aidantes sont plus nombreuses que les hommes et souvent encore en activité professionnelle.

Qu’est-ce qui ressort de ces entretiens ?

À ce jour, nous avons mené 252 entretiens. La détresse des aidants est frappante. C’est une population qui a tendance à se négliger au bénéfice du malade. Le taux de disparition est d’ailleurs plus important que dans la population générale aux mêmes âges : 40% d’entre eux disparaissent avant le malade. Ils supportent une charge mentale importante. Au-delà de 2h30 d’aide par jour, la vie bascule. On fait moins de choses pour soi, c’est le début de l’isolement.

Les aidants se reconnaissent-ils comme tels ?

Beaucoup ne se reconnaissent pas dans ce statut. Il y a une contradiction entre les injonctions administratives et sociales et ce qu’ils vivent au quotidien. Ils se sentent avant tout fils de, femme de…  et ont un sentiment de culpabilité sur le fait de ne pas être à la hauteur. Nombre de communications, vidéos et autres flyers, s’apparentent à des guides de bonne pratique, qui précisent comment être un « bon aidant ». Cela peut être culpabilisant, alors même que ces aidants ressentent un manque et ont des attentes importantes.

Qu’est-ce qui leur manque ?

Les dispositifs existants ne correspondent pas toujours aux attentes. Par exemple, les cafés des aidants sont perçus par certains comme des endroits synonymes de maladie, d’aidance, alors qu’ils cherchent justement à sortir de cet univers.

Cette population d’aidants est très hétérogène. Chaque cas de figure est unique et c’est cela qui est difficile dans la prise en charge. Il faudrait une mallette avec différents dispositifs qui prennent en compte l’état d’avancement de la maladie.

Il faut aussi pouvoir repérer les aidants invisibles, qui pourraient bénéficier de subventions et des prises en charge.

Quelles observations faites-vous sur le public des aidants jeunes ?

Notre échantillon comporte une petite dizaine d’aidants jeunes. C’est un public difficile à toucher car leur situation est souvent très compliquée. Lorsque la maladie d’Alzheimer frappe tôt, l’aidant doit généralement hypothéquer la suite de sa carrière, sa retraite, alors qu’il est encore jeune. C’est beaucoup d’abnégation, c’est pourquoi il est difficile pour eux d’en parler. Par ailleurs, ils ne se sentent pas aidants. Le seuil des 65 ans du malade pour bénéficier des aides compensatrices est problématique. Peu de choses existent pour ce public bien spécifique.

Observez-vous une corrélation entre la catégorie socio-professionnelle des aidants et leurs attentes ?

Non, pas vraiment. Bien sûr, lorsque les revenus du foyer sont plus élevés, cela facilite la prise en charge financière si le malade est placé en EHPAD, mais ce que les aidants attendent tous, c’est surtout une meilleure prise en charge extérieure. Ce qui facilite avant tout la prise en charge du malade, c’est la taille de la cellule familiale qui est impliquée pour aider. Aider un malade d’Alzheimer, c’est souvent une affaire de famille. Mais si une fratrie peut se répartir les rôles et se partager la charge que représente l’aide au malade, un aidant enfant unique, qui a par ailleurs ses propres enfants à éduquer, sera lui bien démuni pour porter tout cela seul à bout de bras.

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