Illustration de Maryse Berthelot du collectif d'artistes "La Vilaine". Retrouvez le collectif sur sa page Facebook @lavilaineasso ou sur son site internet https://lavilaine-edition.com/
« Un jour dans sa cabane / Un tout petit bonhomme / Jouait de la guitare / Olé oléo Banjo. » C’est le genre de chanson qui, fredonnée tôt le matin, ne vous quitte plus de la journée (et vous prend vite la tête). Alors pour quelle raison démarrer ce billet d’humeur en faisant référence à cette comptine ?
Un jour dans sa cabane…
Je suis presque sûre que vous allez me répondre que citer cette comptine est un bon prétexte pour parler de l’intergénérationnel et introduire une newsletter consacrée au Grand Âge. C’est en effet tentant. A la Mutualité Française Bretagne, nous défendons depuis toujours le vivre ensemble et nous prônons le dialogue entre générations. Cela a encore plus de sens aujourd’hui, alors même que la société est davantage fracturée et où le repli sur sa communauté d’appartenance peut être un réflexe. Dans notre contexte de crise, il y a urgence à fabriquer du commun, à tisser ou retisser du lien, et le rappeler dans un édito vaut le coup. Nous nous battons aussi, à la Mutualité Française, pour la solidarité intergénérationnelle lorsque nous formulons des préconisations pour financer la perte d’autonomie. Nous considérons que la prise en charge du risque de perte d’autonomie est une responsabilité collective. Nous estimons que le risque doit être supporté par la solidarité nationale. Si l’État ne peut pas assumer l’intégralité du financement, nous proposons qu’une solution assurantielle soit envisagée.
Évoquer l’intergénérationnel lorsqu’il s’agit de parler du Grand Âge est donc pertinent. Ce n’est pourtant pas pour cette raison que je fredonne « Un jour dans sa cabane… », peut-être parce que je regrette que l’intergénérationnel se réduise trop souvent en EHPAD à la visite d’enfants d’une crèche ou d’une école maternelle…
« Un jour dans sa cabane… » : je suis presque sûre que vous allez me dire que si ce n’est pas pour évoquer les enjeux liés à l’intergénérationnel, cette chanson ne mérite pas d’être citée, ses paroles, à l’origine, revêtant un caractère raciste et vous aurez raison. A la Mutualité Française, nous avons toujours combattu toutes les formes de discrimination (discriminations liées à l’origine ou à la couleur de la peau, au sexe, à l’âge, etc.) et dénoncé toutes les formes d’inégalités (inégalités de revenus, inégalités de santé, inégalités territoriales, etc.). Sur le Grand Âge, nous faisons des propositions pour réaffirmer l’utilité sociale des séniors, mieux accompagner les personnes avec des troubles psychiatriques, anticiper les besoins particuliers des personnes en situation de précarité, refondre les modalités de tarification des établissements et services, et ainsi lutter contre les restes à charge des familles. Nous pouvons saluer l’ouverture prochaine, à Baden, d’une résidence autonomie séniors à vocation sociale, portée par l’Union des Services Mutualistes de Bretagne.
« Un jour dans sa cabane… » : je suis presque sûre que vous trépignez de connaître le motif du choix de cette comptine au regard de notre sujet. Mon édito repose sur le mot « cabane ». J’ai d’ailleurs cherché une chanson évoquant une cabane au fond du jardin mais je n’ai pas vraiment trouvé. Tout est parti d’une information émanant de France Télévision, je crois, le 17 mai dernier. Le journaliste a évoqué, je cite, « une initiative qui aide le maintien à domicile de personnes âgées dépendantes : leur installer un petit chalet en bois au fond du jardin, au lieu d’un placement en maison de retraite ». Cela a déclenché de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux : certaines personnes approuvant ce type de réponse, d’autres la réfutant. Je souhaite revenir sur ces commentaires. Les personnes qui se sont manifestées contre ont surtout focalisé sur le concept, à savoir le studio de jardin, la cabane ou encore le cabanon et son emplacement au fond du jardin, « là où il y a la niche du chien ou le potager ». Les personnes enthousiastes y ont vu l’avantage de la proximité, de la qualité de la relation et du coût ; elles ont plébiscité une réponse qui permet d’éviter « un mouroir qui coûte une fortune » et de consacrer « plus de temps à son parent qu’une aide-soignante ne peut le faire ». Beaucoup d’internautes saluent « ce concept plus humain qu’une maison de retraite ». Le « C’est mieux qu’à l’EHPAD » arrive en tête des réponses en faveur du cabanon.
L’ex-directrice de la résidence mutualiste du Ponant qui sommeille en moi tend à s’énerver. Opposer le domicile à l’EHPAD est, selon moi, une mauvaise idée. Plusieurs rapports mettent ainsi en avant la nécessité de promouvoir une désinstitutionnalisation (virage domicilaire) notamment pour des raisons d’éthique.
Certes, donner la possibilité aux personnes de rester le plus longtemps chez elles doit être encouragé. C’est d’ailleurs une conviction forte de la Mutualité Française : la personne âgée doit pouvoir exercer sa liberté de choix, avec la garantie, le plus longtemps possible, d’accéder à une solution d’accompagnement à domicile alternative à la prise en charge en établissement. Le développement d’habitats aménagés et connectés permettra sans doute de vivre plus longtemps chez soi. Il conviendra toutefois de s’interroger sur le tout connecté. Une surveillance 24H/24 du logement pour assurer le maintien à domicile de son parent correspond-elle à une démarche éthique ? Ne faut-il pas plutôt accepter une part de risque ? In fine, il faudra peut-être envisager une entrée en EHPAD lorsque l’accompagnement renforcé à domicile ne suffira plus. Nombre de personnes âgées arrivant en EHPAD soulignent qu’elles ne sentaient plus chez elles avec tous les passages des aides à domicile, des infirmiers, du médecin, du kiné, de ses enfants.
Vouloir veiller le plus longtemps possible sur son parent, en l’installant chez soi ou en aménageant un studio dans le jardin est un objectif louable. Mais la qualité de la relation sera-t-elle vraiment préservée ? Une fois que le proche aura assuré la préparation puis la prise du repas, les soins de nursing, l’installation au fauteuil, est-ce qu’il aura encore le temps ou l’envie de rester auprès de son parent pour bavarder et garantir une présence affectueuse ? Il nous semble important d’arrêter de décrire l’institution comme un lieu de maltraitances systématiques et le domicile comme un lieu de sécurité et de bientraitance absolues. Les EHPAD n’ont-ils pas été créés pour permettre le maintien des meilleurs liens possibles entre les personnes âgées et leurs familles ?
Quant au coût des EHPAD, il est important de rappeler que des écarts de prix importants s’observent entre établissements à but lucratif et établissements à but non lucratif. De même, des établissements sont conventionnés APL et sont habilités à l’aide sociale.
Plutôt que d’opposer le domicile à l’EHPAD pour des raisons d’éthique ou de coût financier, il serait préférable de renforcer l’exigence de qualité dans les établissements, revaloriser les métiers de l’accompagnement et d’avoir une action forte pour diminuer les restes à charge des résidents.
Pour finir cet édito, j’abandonne le refrain « Un jour dans sa cabane » et je vous recommande la lecture de la BD « Le plongeon » par Séverine Vidal et Victor L. Pinel. Nous sommes tous pris « dans le tourbillon inéluctable de la vie ». Je vous souhaite un plongeon dans le grand âge joyeux, lumineux, paisible, tendre, à domicile ou en EHPAD.
Fabienne Colas Présidente Mutualité Française Bretagne