Comment l’enjeu de la fin de vie est-il appréhendé dans vos établissements ?
VJ : Je ne le décrirais pas comme un enjeu, je dirais qu’il fait partie du quotidien au vu de la population qui vit dans nos établissements. C’est une réalité qu’on doit appréhender, des soins et un accompagnement qu’on doit assurer dans nos structures, parce que cela fait partie de nos missions.
SH : Je partage assez. Et puis quand ils arrivent, on leur dit bien qu’ils rentrent dans un lieu de vie et qu’à un moment donné probablement cette étape-là arrivera, mais que pour l’instant c’est plus loin.
Est-ce un sujet que vous abordez dès l’arrivée du résident ?
VJ : Oui, c’est quelque chose dont on parle lors de la signature du contrat puisqu’on remet des documentations sur les directives anticipées. La fin de vie peut donc être abordée en leur disant qu’avec ces documents on essaye de garantir leurs choix pour le moment où ils ne pourraient plus s’exprimer.
SH : Moi aussi, mais on voit que certains le mettent totalement de côté. Il n’y a pas besoin de mots, on a compris qu’ils ne sont pas prêts, qu’ils n’ont pas envie d’en parler ; alors qu’il y en a d’autres qui vont tout remplir dans la journée et le soir même on a le retour de tous les papiers.
Comment abordez-vous cette question avec la famille également ?
VJ : Cela va dépendre du moment de cet échange. Au moment de la signature de contrat, le résident est quasiment toujours accompagné de sa famille, donc la famille a les mêmes informations que le résident. Et sinon cela va dépendre de chaque situation, c’est individualisé. Cela peut être tout au long du parcours du résident.
SH : Nous, c’est déjà abordé lors de la visite de la résidence avec la psychologue ou l’ergothérapeute, c’est le moment notamment où on peut parler des pratiques religieuses, donc il peut y avoir des choses dites dès ce moment-là, spontanément. Après parfois, le résident peut être dans un entre-deux, car lui il est clair dans sa tête, mais il n’a pas osé donner vraiment les informations à ses enfants. On voit que c’est plus dur pour les enfants ou l’aidant, que pour la personne elle-même qui est souvent au clair avec la mort et ce qu’elle veut ou ne veut pas.
VJ : Au Ponant, on organise également une visite soit avant soit après la commission d’admission. Elle est faite par la secrétaire d’accueil et ensuite si on a validé le dossier d’admission c’est l’infirmière coordinatrice qui va à domicile et qui fait tout un recueil des informations concernant la personne. Et très souvent on a des questions relatives à la fin de vie qui sont abordées.
Comment faites-vous pour que la parole du résident soit accueillie sans avoir forcément les réactions de protection qui peuvent arriver de la part de la famille ?
VJ : C’est individualisé, ça va être en fonction de chaque famille parce que tout le monde ne réagit pas pareil. Et à savoir que dans des fratries, tout le monde ne va pas avoir le même point de vue sur ces sujets-là. Mais on va toujours défendre la parole du résident, même s’il faut s’opposer à la famille.
SH : Je suis d’accord, il n’y a pas de réponse clé en main, c’est ce qui va se dégager, ce qu’on va réussir à percevoir selon les personnes. Des fois on ne fait qu’écouter, le silence est parfois plus opportun quand on sent qu’il y a une zone de frilosité entre les deux parties.
VJ : Et puis comme pour l’accompagnement des résidents, on travaille en équipe, donc le médecin peut nous passer le relais, l’infirmière aussi, parfois on peut être tous les trois présents pendant des entretiens, parfois aussi avec la psychologue. Mais c’est vraiment un travail d’équipe.
SH : Oui et parfois il y a des résidents qui vont plus échanger avec les ASL (Agent des Services Logistiques) qu’avec la direction. Donc cela permet aussi de valoriser l’ensemble de nos équipes.
VJ : Cela montre aussi que la parole du résident a une valeur quel que soit son interlocuteur des professionnels de l’institution.
Ça arrive parfois qu’il y ait des résidents qui refusent complètement de parler des directives anticipées ?
VJ : Oui, il y en a qui ne veulent pas du tout penser à ça.
SH : Nous, en tant que directrices, on a juste le devoir de rappeler que les directives anticipées elles existent, que c’est mieux de les remplir. Mais si les résidents ne le font pas c’est leur liberté, on rappelle juste le cadre.
Et donc, quand ces directives anticipées ne sont pas renseignées, comment gérez-vous le départ ?
SH : Même si ce n’est pas formalisé administrativement, pour 9 résidents sur 10 on sait ce que le résident aime ou n’aime pas, ce qu’il veut ou ce qu’il ne veut pas.
VJ : Et c’est discuté avec la famille. Dans ces moments-là, si on rentre dans un processus de fin de vie, la famille est informée, on est dans le dialogue. Et si on est dans du non verbal avec le résident, la communication, elle, n’est pas arrêtée, c’est ce qu’il nous montre : un état de souffrance, un état de confort, on est capable de le voir. On s’adapte à tous ces facteurs.
Comment accompgnez-vous la famille et les résidents une fois qu’a lieu un décès au sein de la résidence ?
SH : Lors du décès ce n’est pas toujours évident pour nous, cela dépend de quand la famille passe, si on est disponibles à ce moment-là. La vraie discussion elle se fait au moment où les familles viennent débarrasser la chambre. L’établissement met quelques fleurs là où repose la personne donc souvent les familles viennent nous remercier et cela permet d’échanger, de revenir sur le séjour, les bons moments, les mauvais moments. C’est assez apaisé comme échange.
VJ : Complètement. Cet accompagnement va aussi dépendre si la personne repose dans l’établissement ou pas. Au Ponant, la famille peut faire reposer son proche dans sa chambre. Du coup on les accompagne tout au long de cette période. Puis, en effet, il y a aussi ce moment de l’état des lieux où on va revenir sur cet accompagnement. Et on leur dit également qu’ils peuvent revenir plus tard s’ils en ont besoin.
SH : Aux Petits Pas on ne fait pas reposer les résidents dans leur chambre donc quand on repère des affinités particulières entre résidents et que l’un d’eux décède on propose aux autres de les accompagner à la chambre funéraire s’ils le souhaitent.
Quelles sont les améliorations à envisager ?
SH : Des moyens supplémentaires ce serait super. Qu’on puisse former un binôme soit agent/aide-soignant, soit infirmier/aide-soignant, pour consacrer le temps qu’il faut à la personne qui en a besoin en disposant d’une certaine agilité dans l’emploi du temps. Par exemple, au moment de la fin de vie, permettre que ces aidants-là puissent prendre le temps avec le résident de lire un passage d’un livre dont ils ont discuté, regarder ensemble le passage d’un film que le résident aime beaucoup : ce sont toutes ces choses-là qui manquent à nos soignants, pour ne pas être uniquement dans le soin direct, mais aussi dans le partage humain. Et ça ferait du bien aux professionnels de travailler davantage en complémentarité, et de partager aussi à deux l’accompagnement à la fin de vie. Car c’est une étape qui peut être difficile pour les professionnels qui ont noué des liens avec les résidents.
VJ : Je te rejoins, les accompagnements lors de la fin de vie prennent légitimement du temps. Et la nuit c’est une organisation particulière parce qu’ils ne sont que deux sur tout l’établissement. Certains résidents ont besoin de passage plus réguliers, et nous devons pouvoir répondre à cette demande, tout en restant attentifs aux autres. Dernièrement on a eu un doublon de soignants sur une fin de vie, les professionnels se relayaient et cela s’est bien passé : il y a eu une satisfaction des soignants mais aussi de la famille parce qu’elle s’est sentie accompagnée, on ne la laisse seule à aucun moment.
SH : Depuis 10-15 ans toute la partie médicale a progressé, ce sont des équipes extérieures à qui on peut faire appel mais il manque tout le versant social et accompagnement non médicamenteux, y compris sur ce temps-là. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose à créer.