Rencontre avec Akira Lavault, co-fondatrice du tiers-lieu Maison Glaz sur la presqu’île de Gâvres dans le Morbihan et co-présidente du réseau régional Bretagne Tiers-Lieux.
Pouvez-vous nous présenter votre tiers-lieu Maison Glaz ?
Maison Glaz est implantée sur la pointe de la presqu’île de Gâvres dans le Morbihan dans une ancienne friche militaire. Il s’agit d’un tiers-lieu qui s’est donné pour mission de faire vivre à l’année le littoral tout en explorant les possibilités de résilience face au changement climatique, avec notamment la montée des eaux, qui va transformer la presqu’île en Île dans les prochaines décennies.
Comment expliquer l’émergence rapide des tiers-lieux ces dernières années et l’engouement qu’ils suscitent ?
Avant l’apparition des tiers-lieux, il y avait déjà beaucoup de choses qui existaient du point de vue des lieux de sociabilité, notamment dans l’éducation populaire qui était réellement précurseur en la matière. On peut dire que la dénomination est nouvelle mais pas le concept.
En revanche, ce qui est nouveau, c’est un double mouvement : d’une part la crise du financement associatif, avec des associations qui essaient de vivre avec moins voire sans subventions et des structures sociales de l’état providence qui ne suivent pas, et d’autre part les besoins sociaux, divers selon les territoires, de créer du social et de la convivialité.
On peut également observer une bascule avec la numérisation des modes de travail et la Covid qui ont généralisé le télétravail dans la société. Cette mutation des modes de vie combinée à une très forte envie de créer du lien social et de répondre aux besoins des territoires, a permis l’essor des tiers-lieux.
Depuis 2018, l’état s’efforce de s’intéresser à cette question des tiers-lieux, ce qui va permettre une structuration de leur accompagnement. Ce sont ces aides des pouvoirs publics nationaux ou régionaux, et la reconnaissance de l’utilité des tiers-lieux, qui ont permis au mouvement de se structurer. Aujourd’hui, on compte 3500 tiers-lieux en France.
Qui fréquentent les tiers-lieux ?
Cela dépend du territoire sur lequel est implanté le tiers-lieu. Contrairement à l’idée que les tiers-lieux soient des espaces de coworking et soient fréquentés uniquement par des indépendants et des jeunes, ce qu’on constate c’est la diversité des publics et des motivations. À Maison Glaz, nous avons beaucoup de retraités, de familles, de promeneurs et de personnes qui viennent faire la fête, d’acteurs de l’ESS, des entreprises en séminaire. En fait, le type de public va dépendre du types de tiers-lieux.
Il existe toutes sortes de tiers-lieux, comme par exemple : les lieux nourriciers adossés à des projets alimentaires ou agricoles, les lieux de cohésion sociale, les lieux productifs qui accueillent des entreprises, des artisans ou encore les tiers-lieux culturels. Tout type de public est amené à fréquenter un tiers-lieu même sans le savoir. D’après l’Observatoire des tiers-lieux, 13 millions de personnes ont déjà participé à un événement culturel dans un tiers-lieu, donc cela touche un large public.
Est-ce que la Bretagne est une terre de tiers-lieux ?
Oui, la Bretagne fait partie du top 3 des régions de France à accueillir des tiers-lieux, avec 170 tiers-lieux. Cela s’explique notamment par la force du maillage ESS et la profondeur de la culture associative en Bretagne. Bretagne Tiers-Lieux a réalisé une cartographie des tiers-lieux en Bretagne.
Existe-t-il des ponts entre santé et tiers-lieux aujourd’hui ?
Oui tout à fait, en premier lieu sur la question de la santé au travail. Les tiers-lieux sont des lieux de télétravail, des espaces où les personnes choisissent de travailler différemment. Il s’y créé donc une culture du bien-être au travail et un renouvellement du rapport au travail.
Il existe également tout un pan du mouvement des tiers-lieux qui participe au maillage territorial de l’offre de soins. Beaucoup de tiers-lieux accueillent des pratiques de bien-être ou de sport santé. Nous par exemple, nous avons déjà accueilli des consultations d’ostéopathie. Mais il y a également des tiers-lieux comme Le Temps de Vivre à Aixe-sur-Vienne qui accueillent 7-8 cabinets de praticiens et ce sont eux finalement qui font office de cabinet de soins.
Au sein du mouvement tiers-lieu, il y a un groupe de travail qui s’appelle Tiers-lieu du médico-social. Il pense le rôle, l’apport et parfois même la spécialisation de certains tiers-lieux, sur l’offre de santé d’un territoire ou sur le renouvellement des structures de santé, notamment les EHPAD avec un programme sur-mesure développé par la CNAV, et leur inscription sur le territoire.
Sur les enjeux de santé globale, de nombreux tiers-lieux s’intéressent aussi à la santé de notre planète ou à la transition alimentaire.
Comment voyez-vous l’évolution des tiers-lieux dans les prochaines années ?
On peut observer un double mouvement ces dernières années.
D’un côté, il y a une demande très forte pour ce type de lieux et de projets d’innovation sociale. Étant donné que nous sommes dans une société qui produit de la solitude, on observe de plus en plus un grand besoin de créer du lien.
De l’autre côté, on constate les résultats des élections au niveau national. Ce n’est pas quelque chose de simple pour le mouvement des tiers-lieux. Il y a de grosses interrogations sur le devenir des politiques publiques (le projet de loi de finances 2025 propose une réduction de 80% des crédits à la politique tiers-lieux) alors même qu’on constate aujourd’hui une forte demande pour du maillage territorial.
Donc l’évolution des tiers-lieux va dépendre des futurs choix politiques.
Pouvez-vous nous parler du collectif Bretagne Tiers Lieu ?
C’est un réseau régional qui existe depuis 2021 et qui regroupe une centaine de membres. Il a pour objectif d’accompagner la structuration et la reconnaissance du mouvement des tiers-lieux en Bretagne. C’est une filière en construction, donc il y a un enjeu d’outiller les porteurs de projets, de partager les apprentissages, notamment dans l’idée de prendre soin des travailleurs en tiers-lieu. Le milieu des tiers-lieux, comme de nombreuses structures de l’ESS, est un secteur fragile économiquement. Plus de la moitié des gestionnaires de tiers-lieux sont en risque psychosocial. Donc l’objectif du collectif c’est aussi de réussir à outiller tout le monde afin de limiter cette vulnérabilité économique.