Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les personnes en situation de précarité pour accéder à un logement digne dans la région ?
La première difficulté, c’est d’accéder au logement social en Bretagne. En 2023, pour 96 400 demandes, il n’y a eu que 16 000 attributions. L’autre sujet, c’est le déficit de logement social d’une part, et d’autre part, les jeunes ménages qui auparavant quittaient les logements sociaux pour devenir propriétaires y restent désormais, ce qui ralentit le roulement des logements sociaux. Il peut également parfois être difficile de muter dans un logement social, notamment pour les personnes âgées qui habitent en général dans des logements plus grands. Il y a donc un sujet d’adaptation du logement.
La deuxième question, c’est celle de l’attractivité de la région : la LGV, la covid, les personnes retraitées qui veulent rejoindre la Bretagne… Tout cela souligne la concurrence d’accessibilité au logement en Bretagne. Cette concurrence crée une tension sur le marché du logement, en particulier sur les zones côtières.
Il y a aussi la question de la solvabilité : le prix de la location et les questions liées aux fluides avec l’inflation, les logements mal isolés, tout cela génère parfois des non-paiements de loyer qui peuvent ensuite entraîner des expulsions, notamment avec la fin de la trêve hivernale du 1er avril.
Une autre difficulté concerne les logements situés en deuxième ou troisième couronne, qui nécessitent un deuxième véhicule pour des questions de mobilité. Cela peut parfois s’avérer compliqué pour les personnes en situation de précarité.
Avez-vous constaté une aggravation de la crise du logement ces dernières années, et si oui, quelles en sont les causes principales ?
Oui, nous avons pu le constater.
D’abord, il faut bien différencier l’hébergement et l’hébergement d’urgence qui s’adresse davantage aux personnes à la rue. Concernant les personnes à la rue, on a aujourd’hui plus de 3000 demandeurs de logement, soit une augmentation de 80% en 4 ans. Ces demandes sont ensuite relayées par le SIAO (Service Intégré d’Accueil et d’Orientation), le 115. Aujourd’hui, sur une demande du 115, il n’y en qu’une seule sur 4 qui peut aboutir à un hébergement pour la nuit, cela est donc extrêmement préoccupant.
Le manque de logement social a, quant à lui, plusieurs causes :
- Les réhabilitations du logement privé qui sont parfois très lentes à mettre en place. Aujourd’hui, on commence à réhabiliter certains logements vides en centre-bourg, mais il y a encore beaucoup de travail à faire de ce côté-là.
- On a su ouvrir certaines places d’hébergement quand on en a eu besoin : lors de la pandémie, l’accueil des Ukrainiens, cela souligne qu’il y a des marges de manœuvre possibles. Il y a aussi des programmes « logements d’abord » pour les personnes à la rue, mais parallèlement, on est en train de limiter les financements de l’accompagnement social au logement. Alors qu’on sait très bien que, lorsque des personnes sont restées à la rue longtemps, la remise dans un logement peut souvent nécessiter un accompagnement.
- Le ZAN (zéro artificialisation nette) entraîne une limitation de l’usage du foncier sur les communes, avec des partages d’activité, dont la question du logement, ce qui limite une fois de plus le nombre de logements disponibles.
Quels sont les impacts du mal-logement sur la santé ?
Le logement représente un déterminant de santé important.
Il peut avoir des effets néfastes sur la santé des individus, notamment à cause de l’humidité et de la moisissure, du bruit, de la suroccupation (qui a des impacts sur la santé mentale tels que la dépression et l’anxiété), de la pollution atmosphérique, et parfois des accidents domestiques ont lieu à cause d’installations électriques pas toujours aux normes. Pour information, si des personnes vivent dans des logements insalubres, il existe aujourd’hui des aides à la rénovation qui sont portées par des associations, dont la Fondation pour le Logement des défavorisés, anciennement Fondation Abbé Pierre.
Il y a également la question de l’isolement social avec 14 % des locataires bretons de logements sociaux qui sont âgés de plus de 65 ans (sur certains territoires comme le Finistère, cela peut monter jusqu’à 50%). Aujourd’hui, les Offices Publics de l’Habitat à Loyer Modéré (OPHLM) se préoccupent énormément de cette population qui vieillit en s’interrogeant, entre autres, sur la question du maintien de l’autonomie dans le logement le plus longtemps possible.
Il faut également se rappeler que le logement est un point de repère. Il est important d’avoir un peu de stabilité dans le logement, cela permet de créer du lien. Malheureusement, une fois dans un logement insalubre, les familles connaissent des difficultés à trouver un logement social, car elles ont déjà un toit sur la tête, elles ne sont donc plus prioritaires.
Pouvez-vous nous parler de la situation spécifique des femmes et des jeunes en matière de logement en Bretagne ?
Concernant les femmes, quand on regarde la commission Dalo (Droit au logement opposable), commission préfectorale chargée de recueillir les besoins des personnes en attente d’un logement, la plupart des publics qui sont dans cette commission sont des familles monoparentales.
L’année dernière sur la ville de Rennes, il y avait plus de 80 enfants à la rue. En tout cas, nous, aujourd’hui, quand on maraude, on voit des enfants à la rue avec leur mère, et des jeunes qui, souvent, sont à la rue suite à des décohabitations (colocation, rupture, famille).
Concernant les jeunes, nous essayons de les remettre vite sur les rails en leur retrouvant un logement le plus rapidement possible. Il y a aussi la problématique de l’accès à l’emploi ou de l’emploi saisonnier, avec parfois des étudiants ou des salariés précaires, qui dorment dans leurs voitures. C’est quelque chose qu’on observe assez fréquemment.
Pouvez-vous nous parler des initiatives et des programmes mis en place par la Croix-Rouge pour aider les personnes sans-abri ou mal logées en Bretagne ?
Notre plus gros dispositif, c’est celui des maraudes sociales. L’association en réalise tous les jours dans les villes de Rennes, Lorient, Vannes, Quimper, Saint-Brieuc, Brest. Pendant les maraudes, nous allons réorienter les personnes à la rue vers nos distributions alimentaires, vers les vesti boutique de la Croix-Rouge, vers un accès aux droits (RSA, complémentaire santé), vers un accès à la santé (bus santé à Rennes, avec médecin et infirmière, qui tourne 3 fois par semaine), vers un accès au logement (en partenariat avec d’autres associations), mais également vers un retour à l’emploi. L’idée, c’est que les personnes reprennent leur place dans la société, redeviennent citoyennes, si elles sont d’accord avec cela évidemment. Il y a également un levier important autour de la prévention des expulsions, en faisant en sorte que les personnes puissent faire des demandes d’aides pour payer leur loyer, leur électricité. Cette prévention-là, elle se fait auprès des personnes que nous rencontrons aux centres de distribution alimentaire, dans nos boutiques, au sein de nos permanences santé-social tenues par des médecins bénévoles qui accueillent des personnes ne rentrant pas dans le droit commun (pas de carte vitale, pas de complémentaire santé solidaire, etc.). L’idée, c’est d’avoir un temps d’accueil et d’écoute pour pouvoir faire émerger les problèmes des personnes au quotidien.
Nous avons aussi à Brest le pôle Solidarité Bretagne qui accueille le CHRS (Centre d’Hébergement et Réinsertion Sociale) avec une spécificité, celle d’accueillir les femmes victimes de violences conjugales.
Nous mettons également en place des interventions dans les prisons afin d’anticiper la réinsertion.
Y a-t-il des politiques ou des réformes spécifiques que vous aimeriez voir mises en place par les décideurs publics pour améliorer la situation du logement en Bretagne ?
Le logement est une politique partenariale, menée par l’État, la Région et les collectivités territoriales. Le logement doit être pensé en cohérence avec l’offre de service et les infrastructures concernées : écoles, établissements de santé, entreprises créant de l’emploi. Il est donc primordial de s’intéresser aux territoires et de regarder les choses de manière collective. La politique de construction de logements sociaux est donc extrêmement importante, avec un engagement des propriétaires privés qui ont rôle à jouer dans l’habitat solidaire et social.
Il y a également des choses à faire au niveau de l’accès à la propriété. Aujourd’hui, il y a de nombreux freins qui empêchent, ou ralentissent, l’accès à la propriété. Il faut réfléchir à davantage de solutions comme le prêt à taux zéro, le bail solidaire, etc.
Une réflexion pourrait également être menée autour de l’habitat partagé intergénérationnel, qui est une des solutions de logements pour les jeunes, et qui permet également de lutter contre l’isolement des personnes âgées.
Enfin, réfléchir aux questions de l’habitat léger. Par exemple, installer des Tiny house sur des terrains communaux, ce qui permettrait un accès à un logement autonome pour des familles précaires sur un temps restreint. C’est notamment ce qui a été fait à Grand-Champ dans le Morbihan.