Pesticides : une association de médecins donne l’alerte

Fondée en 2013 par le Docteur Pierre-Michel Périnaud, médecin à Limoges, l’association « Alerte des médecins sur les pesticides » s’emploie depuis plus de 10 ans à sensibiliser la population et les pouvoirs publics aux effets dévastateurs des pesticides sur notre santé. Rencontre avec Jean-François Deleume, porte-parole de l’association.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis un radiologue des hôpitaux, aujourd’hui à la retraite. Cela fait plus de vingt ans que je m’intéresse à la question des pesticides. Cela a commencé avec le scandale du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe au début des années 2000. À l’époque, les médecins n’étaient pas formés aux pathologies toxiques environnementales, cela m’a donc permis de découvrir la santé environnementale et les liens entre certaines maladies et les pesticides. À partir de ce moment-là, j’ai décidé de m’engager. Au niveau régional, je suis devenu membre de l’association « Eaux et Rivières de Bretagne » en 2010, et au niveau national, j’ai rejoint l’association « Générations Futures » la même année. Quelques années plus tard, je suis devenu porte-parole de l’association « Alerte des Médecins sur Les Pesticides » et également membre du collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest.

Pouvez-vous présenter les principaux objectifs de l’association « Alerte des médecins sur les pesticides » ?

En 2013, le Docteur Pierre-Michel Périnaud lance un appel afin de dénoncer l’augmentation de certaines pathologies en lien avec des toxiques environnementaux très répandus dont les pesticides.

Quatre grands objectifs sont fixés :

  • Prévenir les professionnels exposés aux pesticides des dangers de maladies professionnelles, notamment les agriculteurs qui sont très touchés et qui étaient particulièrement désinformés à l’époque ;
  • Faire retirer les molécules dangereuses du marché ;
  • Protéger les riverains des potentiels rejets de pesticides aux alentours ;
  • Protéger les consommateurs de manière générale, en permettant à tous de choisir une alimentation sans résidus de pesticides par le développement de l’agriculture biologique.

Avez-vous pu observer une évolution ces 10 dernières années ?

En effet, nous avons pu observer une nette évolution car la sécurité sociale a recensé officiellement des maladies professionnelles liées aux pesticides, certaines relevant de la médecine du travail. Le lien entre une pathologie et une exposition aux pesticides est ainsi fait. Cette corrélation permet de réduire les délais pour être pris en charge, mais également celui des indemnisations.

Ainsi, depuis 2012, elles reconnaissant que la maladie de Parkinson, maladie neurodégénérative, peut être corrélée à une exposition aux pesticides pendant au moins 10 ans.

En 2015, ont été rajoutées les hémopathies malignes, maladies du sang provoquées par les pesticides, avec le lymphome malin non hodgkinien, puis en 2019 le myélome multiple et la leucémie lymphoïde chronique.

Depuis 2019, le cancer de la prostate est également corrélé aux pesticides.

Cela constitue une véritable avancée. Cependant, la sécurité sociale n’ayant pas l’obligation d’informer les malades du lien entre pesticides et pathologies, on observe une sous-déclaration des maladies professionnelles, ce qui participe quotidiennement à l’invisibilisation des maladies professionnelles des pesticides.

En 2021, l’INSERM a produit une expertise collective, « pesticides et effets sur la santé – nouvelles données », qui fait le lien entre les pesticides et de nouvelles pathologies dont des maladies respiratoires (comme les bronchites chroniques, l’asthme). Ces travaux soulignent également une forte suspicion de liens entre le syndrome anxio-dépressif et les pathologies cognitives des agriculteurs et l’exposition aux pesticides, ce qui participe vraisemblablement au taux élevé de suicide dans cette population.

Parmi les autres avancées, il y a eu en 2021 la création du fond d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), qui a été porté longtemps par Paul François de l’association Phyto-victimes, un agriculteur ayant gagné ses procès contre Monsanto suite à une intoxication aiguë au Lasso, un puissant herbicide, et à son coformulant, le monochlorobenzène, un solvant pétrolier. Ce fond a pour mission d’indemniser les individus ayant des pathologies liées aux pesticides, mais qui ne font pas partie de la classification des maladies professionnelles. Cela permet également d’indemniser les enfants qui sont impactés par les pesticides durant la grossesse, comme l’illustrent le cas de l’affaire Théo Grataloup et l’affaire de la fleuriste Laure Marivain.

En 2018, le Docteur Laurence Gamet-Payrastre, chercheuse à l’INRAE, mène une expérience sur des souris qui reçoivent pendant un an dans leur alimentation les 6 résidus de pesticides les plus souvent retrouvés sur les pommes conventionnelles, et respectant les limites maximales de résidus (LMR) de la toxicologie réglementaire. Contre toute attente, cette expérience montre l’impact direct des résidus alimentaires de pesticides sur la santé des individus : prise de poids, anomalie de la régulation de la glycémie, surcharge du foie en graisse, anomalie du microbiote, etc.

Aujourd’hui, la population générale est encore assez peu informée de tous ces dangers. Alors qu’on sait qu’un individu qui n’est pas en contact professionnel avec les pesticides le sera par 4 autres voies :

  • Voie alimentaire : environ 70% de l’exposition provient de l’alimentation issue de l’agriculture conventionnelle
  • Voie respiratoire : environ 20% de l’exposition vient de l’air
  • Eau de boisson : entre 5 et 10% de l’exposition lui est attribuée
  • Voie cutanée : le reste de l’exposition est attribué aux contacts cutanés (exemples : insecticides domestiques, colliers anti-puces et anti tiques des animaux domestiques, fleurs traitées aux pesticides, etc).

Pour conclure, on peut dire qu’il y a une belle avancée sur le sujet en termes de connaissances. La France est le seul pays en Europe qui a cette réglementation au niveau des maladies professionnelles, et cela grâce à la sécurité sociale et aux associations de malades.

Cependant, concernant les sources de contamination, il faut opérer de grands changements au niveau de l’agriculture afin de protéger l’ensemble de la population. L’agriculture biologique et la consommation de bio progresse en France, mais il faut continuer de développer tout cela dans les prochaines années.

Où en est-on en Bretagne par rapport à l’usage des pesticides ? Comment se positionne la région par rapport au reste de la France ?

La viticulture est l’agriculture qui utilise le plus de pesticides. Or, en Bretagne, il y a très peu de viticulture et toute la viticulture en Bretagne est bio, donc sans pesticides. Cela minimise les risques. Globalement, en Bretagne, nous ne sommes pas la région la plus exposée à ce type de pesticide.

En revanche, la moitié Nord de la France, dont la Bretagne, est la plus contaminée à un pesticide polluant organique persistant dans le sol, le Lindane, du fait de son utilisation dans l’élevage depuis le XXème siècle.

On peut également constater que l’eau servant à la production d’eau potable est assez polluée en Bretagne. En effet, il y a peu de nappes phréatiques, donc ce sont les eaux superficielles qui sont utilisées pour la production d’eau de consommation. Or celles-ci sont plus polluées en pesticides que les eaux souterraines des nappes.

Comment évaluez-vous la réponse des pouvoirs publics face aux risques sanitaires posés par les pesticides ?

Aujourd’hui, elle est insuffisante. À l’AMLP, nous devons admettre que les intérêts économiques de l’agroindustrie et de la pétrochimie passent avant la santé publique.

Les décisions sont prises sur des intérêts économiques. La santé n’est pas la priorité.

En quoi consiste le projet des ordonnances vertes ?

Face à ce constat, l’AMLP a décidé de protéger directement les personnes concernées. On propose de généraliser une expérience qui a pris racine à Strasbourg. L’idée, c’est de proposer des paniers de produits biologiques pour les femmes enceintes et également de les accompagner avec des ateliers santé et des ateliers cuisine, pour leur permettre d’instaurer un mode de vie sain dans leur quotidien. On propose aux collectivités territoriales de prendre part au projet. Pour le moment des petites communes de Charente, et des métropoles comme Angoulême et Rennes ont mis en place le dispositif sous certaines conditions.

Quels conseils donneriez-vous aux Bretons pour réduire leur exposition aux pesticides au quotidien ?

  • Essayer de manger le plus possible de produits bio en circuit local/court ;
  • Limiter les risques domestiques : faire attention à ses produits d’hygiène et de toilette, faire attention aux produits industriels que l’on fait entrer dans sa maison (peintures avec fongicides, insecticides, produits de synthèse) ;
  • Réapprendre à cuisiner des produits bio, frais, de saison, provenant de producteurs locaux.