À l’aube des élections européennes du 9 juin 2024, la Mutualité Française Bretagne part à la rencontre de ses homologues belges pour échanger sur leur vision du monde mutualiste en Europe. Entrevue avec Alain Coheur, Directeur des affaires européennes et internationales chez Solidaris Belgique.
Quels sont les enjeux européens pour les mutuelles ?
D’après moi, il y a deux grand enjeux européens pour les mutuelles :
- Tout d’abord, au niveau de la Commission européenne, nous avons observé une période compliquée avec la COVID-19. Nous avons pu voir à ce moment-là que l’Union Européenne n’était pas suffisamment coordonnée pour faire face à une épidémie de cette ampleur. La Commission européenne a donc mis en place un certain nombre de mécanismes novateurs.
Deux ans et demi après, la santé n’apparaît plus comme une priorité de la Commission européenne. C’est un véritable paradoxe : nous avons mis en évidence des questions de santé à un instant T, et maintenant que nous avons l’impression que la crise est dernière nous, la santé est relayée au second plan.
Or, nous estimons que la santé doit rester une priorité dans l’agenda de la Commission européenne. C’est certainement l’une des revendications les plus fortes que nous devons avoir, parce que ce n’est pas uniquement la question des maladies virales : il y a la question des maladies non transmissibles en augmentation, les politiques de prévention, d’éducation à la santé. Malgré le plan européen de lutte contre le cancer lancé en 2021, certaines organisations demandent aujourd’hui l’élaboration d’un plan de lutte contre les maladies rares : un autre problème insuffisamment pris en compte et pour lequel un pays ne peut pas faire face, seul.
Pour toutes ces raisons, la santé doit rester un élément fort de la prochaine Commission européenne.
- Le deuxième grand enjeu, c’est l’économie sociale. Là aussi, la Commission européenne, sous cette législature, a fait beaucoup de travaux. Il y a un plan d’action qui avait été lancé par le commissaire à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit. Nous demandons, avec d’autres organisations de l’économie sociale, d’avoir de nouveau un commissaire spécifiquement en charge et dédié, notamment, à l’économie sociale et solidaire. L’objectif est de continuer les travaux sur l’économie sociale, élément central de la politique de mise en évidence du rôle des mutuelles, non seulement dans les politiques de santé, mais aussi dans les politiques sociales.
Quels sont les liens entre les mutuelles françaises et belges ?
Solidaris entretient des liens très étroits avec le groupe VYV notamment, avec lequel nous avons signé un partenariat de collaboration, il y a maintenant plus d’un an. Il nous permet de nous rencontrer entre conseils de direction, pour échanger sur les politiques européennes. Nous entretenons également de très bonnes relations avec la Fédération Nationale de la Mutualité Française et la Fédération des Mutuelles de France. Nos liens sont très étroits et structurés, et dès que nous pouvons échanger sur des politiques de santé, nous le faisons. Par exemple, en Belgique, une loi sur l’euthanasie a été mise en place il y a 20 ans, et il y a deux ans, nous avons travaillé avec la MGEN pour que la problématique de la fin de vie soit réellement portée avec des solutions en France. Le débat a pu être relancé en France grâce aux relations entre les mutuelles et l’expérience que nous avons en Belgique.
Quels sont leurs points communs et leurs différences ?
Nous avons une vision commune sur les objectifs poursuivis en matière d’accessibilité aux soins de santé et des valeurs identiques : la non redistribution des bénéfices ou lucrativité limitée, l’absence d’actionnariat, le réinvestissement dans le développement de nouveaux services. Nous avons des centres médico-sociaux, des établissements de soins, des centres de santé dentaire, pour lesquels la même philosophie mutualiste permet de faciliter l’accessibilité aux soins de santé. Ce sont des bases de compréhension, d’entente commune, de réflexion, qui facilitent le travail ensemble. Cela nous a permis d’écrire un mémorandum en commun en vue des élections européennes, dont l’objectif est de porter nos revendications auprès des parlementaires pour influencer les futurs travaux des députés européens.
En ce qui concerne les différences, j’en vois une qui est fondamentale : les mutualités en Belgique gèrent l’assurance maladie obligatoire. L’État nous a confié la gestion de l’assurance maladie obligatoire, donc il n’y a pas, comme en France, de caisses primaires, c’est la Mutualité qui assure tant le remboursement de l’assurance maladie obligatoire que celui de l’assurance complémentaire. C’est une différence considérable parce que cela nous amène à un positionnement différent dans le système de santé, puisque nous participons pleinement aux objectifs de santé, nous négocions avec les prestataires de santé le niveau de remboursement des prestations, etc. Ce sont des différences qui sont liées au fonctionnement général du système de santé, ce ne sont pas des différences sur la philosophie de la Mutualité.
Pouvez-vous dire quelques mots sur la mobilisation autour de la tribune publiée dans le journal « Le Monde » pour des solutions face à la toxicité de l’amiante et des pesticides ? Et également sur le colloque du 11 avril au parlement européen à Bruxelles ?
C’est un exemple très concret de la manière dont nous avons pu collaborer avec une initiative de la Mutuelle Familiale, qui s’est engagée très fortement sur la question des pesticides. Il y a une telle diversité d’enjeux au niveau européen, et si on compare le poids des lobbys de l’industrie chimique et agroalimentaire par rapport à ce que nous mobilisons comme moyens financiers, il n’y a que par des synergies et des partenariats que nous pouvons arriver à faire face aux défis de santé publique.
Les mutuelles belges ont rédigé ensemble un mémorandum pour les élections, dans lequel il y a un volet environnement et une partie sur la problématique des pesticides. Donc nous avons pu rebondir sur notre mémorandum par rapport à l’initiative de la Mutuelle Familiale : automatiquement il y avait une convergence de lutte pour promouvoir le fait de porter un certain nombre de revendications sur l’utilisation des produits chimiques et de leur impact sur notre santé. Je pense qu’aujourd’hui, malheureusement, il n’y a que les mutuelles qui ont cette légitimité à être très actives dans le portage politique d’un certain nombre d’enjeux de santé publique. Bien souvent, la gestion des systèmes de santé est confiée à des administrations, qui ne vont pas faire ce travail de plaidoyer, de défense des intérêts. .
Cette convergence a permis de nous mobiliser à Bruxelles avec des parlementaires européens. Puis, de manière plus visible autour d’une mobilisation sur la place du Luxembourg en face du Parlement avec d’autres intervenants qui ont pu s’exprimer sur ce sujet hautement sensible.
La Mutualité doit avoir une vision à 360 degrés des problématiques posées par l’utilisation des pesticides et des engrais dans notre environnement . Notre rôle est d’avoir une vision beaucoup plus globale de la santé et pour cela, nous devons être davantage mobilisés. Et c’est justement parce que nous devons être beaucoup plus mobilisés que nous devons trouver des partenariats et des synergies avec d’autres acteurs qui partagent la même vision.