Illustrateur François Gadant du collectif La Vilaine : collectif rennais d'illustrateur.e.s et auteur.e.s BD qui publie une revue du même nom et souhaite valoriser la BD rennaise et ses talents.
« On vous souhaite tout le bonheur du monde (1) » : c’est avec ce refrain entêtant que nous démarrons notre édito sur le bonheur. Nous avions toutefois le choix parmi de nombreux autres titres de chansons récentes ou plus anciennes : « Le petit bonheur (2) » , « C’est quand le bonheur ? (3)» , « Il est où le bonheur ? (4) » , « Fuir le bonheur [de peur qu’il ne se sauve] (5) » . Nous pouvions aussi nous appuyer sur une multitude de citations et pléthore d’ouvrages sur le sujet.
Tout le bonheur du monde
Revenons à notre titre de chanson. Les vœux de bonheur ne se refusent pas. Nous aspirons tous au bonheur. C’est une quête somme toute légitime. Mais qu’est-ce-que le bonheur ? A quelles conditions l’atteindre ? A l’approche du bac de philosophie, nous ne prendrons pas le risque de disserter tant le bonheur est un mot problématique. Nous nous contenterons de faire quelques commentaires. Rendez-vous à l’automne avec un webinaire pour approfondir le sujet.
Une première remarque concerne une définition fréquente du bonheur. Celui-ci serait un état global et durable de satisfaction reposant sur un équilibre de l’esprit et du corps. En tant qu’acteur de santé, nous faisons un parallèle avec la définition santé de l’OMS[6] qui repose sur un état complet de bien-être. La principale critique que l’on peut alors faire à cette seconde définition concerne son caractère statique. Qui peut dire qu’il conservera une bonne santé toute sa vie ? Pour le bonheur, la même remarque peut s’appliquer. Le bonheur n’est pas durable. Il peut disparaître à tout moment. Nous pouvons saluer l’initiative de mutuelles qui cherchent à accompagner leurs adhérents à des moments clés de la vie, partant du constat qu’ils sont plus vulnérables lors de situations de rupture, qu’elles soient heureuses ou malheureuses (entrée dans la vie active, parentalité, divorce, veuvage, chômage, départ en retraite, etc.).
Une autre remarque concerne le lien entre bonheur et santé ou bonheur et bien-être. Ce sont des concepts différents mais ils sont liés. Le bonheur joue un rôle prédominant sur notre santé. De études montrent qu’être heureux permet de vivre plus longtemps. Nous connaissons tous la célèbre citation de Voltaire : « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé ». On a envie d’y souscrire mais elle a un petit côté « Y’a qu’à » ou bien encore « Si je veux, je peux ». Ce qui nous amène à notre troisième remarque.
Celle-ci se rapporte à la notion de bonheur individuel et plus particulièrement à la mode du développement personnel. Selon les spécialistes du développement personnel, on pourrait atteindre le bonheur à force de volonté et d’exercices. Sans doute, nous pouvons accroître nos compétences ou en acquérir de nouvelles, et ainsi gérer davantage nos émotions, notre stress et mieux faire face aux difficultés de la vie. En promotion de la santé, lorsqu’on vise le bien-être, nous aimons faire référence aux compétences psychosociales et à l’estime de soi. Dans sa contribution sur la santé mentale, la Mutualité Française préconise d’encourager les actions de prévention qui soutiennent le développement de ces compétences auprès des enfants mais aussi des parents pour des relations plus sereines. Toutefois, il y a un danger à faire croire que le bonheur ne dépendrait que de nous, que nous serions les seuls responsables de notre bonheur. Cela revient à nier la dynamique des interactions entre les individus eux-mêmes et entre les individus et leurs contextes de vie. De même qu’il y a des conditions nécessaires à la santé (avoir un logement digne, se nourrir sainement, accéder à l’éducation, disposer d’un certain revenu, bénéficier de relations sociales, etc.), il y a des dispositions préalables au bonheur (conditions matérielles, spirituelles, etc.). La philosophe, Eva Illouz, sociologue, parle de « privatisation de la souffrance sociale » à propos du développement personnel. D’autres auteurs[7] dénoncent avec elle cette philosophie positive, cette « science du bonheur » qui asservit plus qu’elle ne libère, qui modèle plus qu’elle n’autonomise, qui favorise l’individualisme égoïste plus que le partage et la solidarité. A la Mutualité, nous militons pour que les individus soient acteurs de leur santé et somme toute acteurs de leur vie. Cela passe par l’accroissement de la pensée critique. Aujourd’hui, face au désintérêt grandissant des Français pour la politique, de nombreuses institutions se questionnent et souhaitent renforcer l’éducation à la citoyenneté, l’éducation populaire, etc.
Dernière remarque : quid du bonheur collectif ? L’homme est un « animal politique » qui est porté à organiser sa vie avec les autres hommes, qui vit en société. L’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 le stipule : « Le but de la société est le bonheur commun ». D’aucuns ont alors essayé de construire des indicateurs du bien-être pour aller au-delà de la simple donnée économique du PIB ou du PNB[8]. Se pose alors la question de la pertinence d’une telle mesure. Le risque de voir une nouvelle société de contrôle émerger avec cette « économie du bonheur » est pointée. La Mutualité Française dans ses propositions pour l’élection présidentielle a également formulé la piste de revoir les indicateurs socio-économiques d’évaluation des politiques publiques en s’intéressant prioritairement à la santé et au bien-être. Partant du constat que le financement de la protection sociale repose majoritairement sur l’activité économique mesurée par le PIB, elle recommande de repenser la hiérarchie des indicateurs pour privilégier ceux de « pleine santé », « d’espérance de bien-être », et de « bien-être ». Nous retiendrons qu’il est utile de compléter une mesure économique telle que le PIB par des mesures moins comptables. Ce type d’initiative contribue à la réflexion sur la notion de progrès, sur les valeurs de la société et sur le projet de civilisation que nous voulons.
Nous terminerons cet édito avec cette dernière idée que l’engagement rend heureux. Il semblerait en effet qu’on puisse établir un lien positif entre l’engagement social et le bonheur. Quel que soit le sexe, l’âge, la catégorie sociale, la participation sociale de chaque individu influencerait positivement son niveau de satisfaction dans la vie. L’implication bénévole ou militante créerait en effet des liens favorisant l’épanouissement. Elle entraînerait également une meilleure intégration sociale et contribuerait à prévenir la dépression. A l’heure où les associations mais aussi les mutuelles peinent à renouveler leurs instances politiques, nous devrions davantage communiquer sur ce facteur de protection : engagez-vous à la bonne heure[9] !
Pour finir, oui au bonheur, au progrès, à l’engagement.
Fabienne Colas Présidente Mutualité Française Bretagne
Pour lire les autres articles de Mut’info Bretagne#8 : cliquez
[1] Chanson du groupe Sinsemilia
[2] Chanson de Félix Leclerc
[3] Chanson de Cali
[4] Chanson de Christophe Maé
[5] Chanson de Jane Birkin, paroles de Serge Gainsbourg [6] Organisation Mondiale de la Santé [7] Nous vous recommandons la lecture du livre suivant : « Contre le développement personnel » de Thierry Jobard [8] Produit intérieur brut ; Produit national brut [9] Expression utilisée pour signifier « heureusement »