- Pouvez-vous nous présenter l’association Astrée et sa mission principale ?
En France, 11 millions de personnes souffrent de solitude chronique.
Une sur six.
Autant de vies traversées par le silence, l’isolement, l’impossibilité de dire ce qu’on ressent.
Car la solitude, ce n’est pas seulement être seul. C’est ne pas pouvoir parler. Ne pas être écouté.
Et dans les moments de fragilité, ce manque de lien peut faire basculer vers le repli, le mal-être, la détresse.
Depuis 1987, Astrée agit pour briser ce silence.
Notre mission : recréer du lien, en offrant une écoute sincère, bienveillante, sans jugement.
Pas de conseil. Pas de solution toute faite. Mais une présence, réelle.
Pour que chacun puisse se sentir reconnu, soutenu, entendu.
Et, pas à pas, retrouver sa place dans le monde.
Concrètement, comment agissons-nous ?
Nous recrutons et formons des bénévoles à l’écoute active, selon l’approche centrée sur la personne. Ils accompagnent, chaque semaine, en présentiel ou par téléphone, celles et ceux qui en font la demande.
Un accompagnement humain, régulier, adapté aux besoins de chacun.
Et parce que la solitude n’épargne pas les plus jeunes, nous intervenons dès le collège.
Avec notre action Attentif aux autres, nous sensibilisons les élèves à la valeur de l’écoute.
Formés à l’écoute active, des jeunes volontaires deviennent des bienveilleurs : ils apprennent à repérer un camarade en souffrance, à l’écouter sans juger, et à faire le lien avec un adulte quand c’est nécessaire.
Ils participent ainsi à faire émerger une culture du lien, de la solidarité et de la considération de l’autre.
Notre conviction : un lien social fondé sur une écoute sincère et bienveillante peut transformer une vie. Chez Astrée, nous sommes convaincus que la qualité de la relation humaine est une clé essentielle pour lutter contre l’isolement et favoriser une meilleure santé mentale.
En offrant une présence attentive, sans jugement ni conseil, nous permettons à chacun de retrouver confiance, de renouer avec un sentiment d’utilité et de sécurité, et de se projeter à nouveau dans un parcours de vie plus serein.
- Quels constats faites-vous aujourd’hui sur la santé mentale des jeunes, notamment en milieu scolaire ?
La santé mentale des jeunes est un enjeu de plus en plus reconnu, y compris par les jeunes eux-mêmes. Selon le Baromètre de la solitude 2025 mené avec l’Ifop pour Astrée, 40 % des 18-24 ans déclarent souffrir de solitude chronique, contre 17 % en moyenne dans la population française, et seulement 6 % chez les plus de 65 ans.
Ces chiffres disent beaucoup : les jeunes sont particulièrement touchés par un sentiment de solitude et d’isolement, malgré leur présence constante sur les réseaux sociaux. Mais cela traduit aussi une évolution importante : la parole se libère et les jeunes osent de plus en plus exprimer leur mal-être, quel que soit leur parcours ou situation.
Nos actions en milieu scolaire confirment ces constats. Que ce soit dans des collèges privés ou publics, en zone REP ou REP+, le triple constat est le même :
- les jeunes ont conscience de leur fragilité psychologique,
- ils identifient le manque de lien social comme un facteur de mal-être,
- et ils souhaitent agir.
Dans la mise en œuvre de notre action Attentif aux autres, nous constatons une forte mobilisation pour devenir bienveilleur, c’est-à-dire un élève formé, sensibilisé, aux situations de mal-être de ses camarades et à l’écoute active.
- Comment les jeunes accueillent-ils vos interventions ? Y a-t-il des retours marquants que vous pouvez partager ?
Les jeunes accueillent nos interventions avec beaucoup de sérieux, de curiosité et souvent une vraie envie de s’impliquer. Ils se montrent attentifs aux enjeux de santé mentale, et nombreux sont ceux qui expriment un besoin d’écoute, pour eux comme pour les autres.
Chaque année, lors d’un temps de bilan organisé avec les élèves de 3ᵉ engagés comme bienveilleurs et ceux qui s’apprêtent à le devenir, un moment fort est dédié aux témoignages.
Avant de passer le relais à la future promotion, les bienveilleurs prennent la parole pour partager ce qu’ils ont vécu, observé ou ressenti tout au long de leur engagement, et parfois même adresser des conseils aux nouveaux volontaires.
Certains témoignages sont particulièrement touchants et révèlent la profondeur de ce qu’ils ont traversé et souvent, de ce qu’ils ont contribué à transformer.
- Existe-t-il des problématiques spécifiquement bretonnes et comment les traitez-vous ?
En Bretagne, la solitude familiale est un facteur de souffrance particulièrement marqué, comme en témoignent les personnes accompagnées par notre antenne à Rennes. Cette spécificité régionale fait écho aux constats du rapport du CESER Bretagne de 2023, qui souligne que les relations intrafamiliales jouent un rôle central dans la santé mentale des jeunes, tant comme facteur de protection que de vulnérabilité.
Par ailleurs, la Bretagne est l’une des régions les plus touchées par le suicide chez les jeunes, ce qui en fait un territoire prioritaire pour la prévention dès le plus jeune âge. Ce contexte renforce la nécessité de créer des espaces d’écoute sécurisants, où les personnes peuvent exprimer ce qu’elles vivent dans leur cercle proche. Cet aspect est au cœur de nos actions.
Nous accompagnons déjà des jeunes en souffrance sur le plan individuel. Mais nous sommes convaincus qu’il est aujourd’hui nécessaire d’agir plus en amont, notamment dans les établissements scolaires.
À ce jour, notre action de prévention Attentif aux autres n’est pas encore implantée en Bretagne, mais nous souhaitons vivement l’y développer, convaincus de sa pertinence face aux enjeux locaux.
Ce programme contribue au développement des compétences psychosociales, à la prévention du repli sur soi et à l’amélioration du climat scolaire, des dimensions pleinement en résonance avec les problématiques bretonnes identifiées en matière de santé mentale des jeunes.
Nous pensons que ce que nous apportons sur d’autres territoires peut répondre avec justesse aux défis identifiés en Bretagne, qu’il s’agisse du mal-être adolescent, du manque d’écoute, ou de la difficulté à verbaliser son mal-être.
Notre antenne de Rennes, fortement ancrée localement, développe déjà des actions de terrain en lien avec des maisons de santé, des universités, des maisons de quartier, ou encore la Ville de Rennes. Nous travaillons dans une logique de synergies locales et serions ravis de construire, aux côtés de la Mutualité Française, un déploiement pertinent et adapté du programme en Bretagne.
- Quels résultats ou évolutions avez-vous observés grâce à vos actions auprès des jeunes ?
Nos actions auprès des jeunes, notamment à travers le programme Attentif aux autres, produisent des effets visibles et durables sur leur bien-être, leur engagement et la dynamique collective au sein des établissements.
Les élèves formés à l’écoute active développent des compétences essentielles : empathie, confiance en soi, capacité à reconnaître et exprimer leurs émotions avec justesse. Ils se sentent utiles, légitimes dans leur rôle de bienveilleurs, et deviennent progressivement force de proposition : boîtes à idées, relais d’initiatives, création d’espaces d’écoute.
Avec le temps, l’engagement s’amplifie : chaque année, le nombre de jeunes souhaitant devenir bienveilleurs augmente, signe d’une adhésion forte et durable.
Cette dynamique renforce la cohésion du groupe et le sentiment d’appartenance entre pairs.
Notre démarche s’inscrit en complémentarité avec les politiques publiques, comme le programme pHARe, et trouve un écho dans des initiatives plus récentes, telles que le dispositif L’Aider, lancé par le gouvernement. Ces évolutions confirment la justesse du plaidoyer d’Astrée, porté depuis de nombreuses années, en faveur d’une prévention relationnelle, non stigmatisante et impulsée par les jeunes eux-mêmes.
- Est-ce que cette année où la santé mentale est grande cause nationale est particulière pour l’association ? Cela donne-t-il plus d’échos à votre action ?
Oui, cette année est particulière pour Astrée. Le fait que la santé mentale soit déclarée Grande Cause nationale donne une résonance nouvelle à notre action et crée un contexte plus favorable à l’écoute des acteurs de terrain.
Cela renforce notre plaidoyer en faveur d’une approche fondée sur le lien humain, l’écoute bienveillante et la prévention relationnelle dès le plus jeune âge.
Dans ce cadre, nous avons eu l’opportunité d’être reçus à l’Élysée, aux côtés d’autres acteurs engagés, pour porter la voix des associations de terrain au sujet de la santé mentale des jeunes.
Cette reconnaissance officielle nous encourage à poursuivre et amplifier notre action en lien avec de nouveaux partenaires, dans le champ de l’éducation, de la santé, du médico-social et des collectivités territoriales.
Notre présence au Forum national pour la santé mentale à Cannes, et le prix “Coup de cœur” décerné par la Mutualité Française remis à notre action Attentif aux autres, sont autant de leviers de visibilité et de légitimité. Ils renforcent notre capacité à prendre la parole, à sensibiliser plus largement et à faire grandir nos actions au service des jeunes.
Toutes ces avancées nourrissent un objectif ancré dans notre engagement : prendre soin des jeunes et de leur santé mentale, pour leur offrir un avenir plus apaisé et porteur d’élan.