L’éco-anxiété : le mal du siècle

Rencontre avec Charline Schmerber, psychopraticienne spécialisée dans les éco-émotions depuis 2019, elle accompagne les individus et les entreprises, en présentiel et en distanciel, dans leur processus de prise de conscience de l’état de la planète. Elle a également cofondé l’association RAFUE Réseau des professionnels de l’Accompagnement Face à l’Urgence Écologique et écrit l’ouvrage « Petit guide de survie pour éco-anxieux ».

  • Pouvez-vous définir ce qu’est l’éco-anxiété ? Depuis quand ce phénomène existe ?

Le terme d’ « éco-anxiété » est arrivé pour la première fois dans la sphère publique le 5 août 1990. Il a été introduit par la journaliste américaine Lisa Leff, dans un article pour le Washington Post. Elle y qualifie l’état émotionnel des habitants de la baie de Chesapeake, qui viennent de vivre un nouveau pic de pollution.

Ce terme va ensuite être théorisé en 1997 par Véronique Lapaige, médecin-chercheur en santé publique et en santé mentale : il s’agit « d’un phénomène hybride et d’un mal être identitaire, associés à une responsabilisation des hommes, des femmes, et des sociétés ». L’éco-anxiété n’est pas à raccrocher à la pathologie, cela n’a rien à voir avec la maladie mentale, et c’est également à distinguer de l’anxiété. Elle explique qu’il s’agit d’une réaction saine et tout à fait adapté à la situation.

Il faudra attendre quelques années avant que le terme « d’éco-anxiété » apparaisse dans la presse française. C’est en 2019, suite aux deux grandes vagues de chaleur de juin et de juillet, que des journalistes commencent à évoquer l’éco-anxiété dans les médias. C’est la prise de conscience de la réalité des conséquences du dérèglement climatique en France et dans les pays frontaliers qui permet de sortir du déni et de parler enfin de cette détresse émotionnelle.

  • Qui sont les personnes touché.e.s par cette détresse émotionnelle (et quelle tranche d’âge ?)

Les personnes touchées par l’éco-anxiété sont généralement : les jeunes, les femmes, les minorités ethniques, les personnes à faibles revenus économiques et certains professionnels comme les chercheurs, les scientifiques et les agriculteurs.

Pourquoi les jeunes ? Les jeunes sont aujourd’hui très informés, c’est de leur avenir dont il est question quand on parle de crise écologique. Ils ont accès facilement à l’information, notamment via les réseaux sociaux.

Pourquoi les femmes ? Il s’agit d’un conditionnement social, les femmes sont plus sujettes à exprimer leurs émotions. Depuis toutes petites on leur apprend à partager leurs émotions, chose qui est souvent refusée aux petits garçons. Elles pensent aussi qu’elles seront plus exposées que les hommes en cas de menace climatique.

  • Quel impact cela peut-il avoir sur leur quotidien ?

Cela peut avoir un impact sur le comportement des individus, sur la vie personnelle : de plus en plus de jeunes se demandent par exemple s’ils veulent avoir des enfants. Il peut également y avoir des troubles du sommeil. Chez les femmes plus que chez les hommes, cela peut renforcer les troubles alimentaires, alors que chez les hommes cela peut accentuer certaines addictions (drogue, alcool).

L’éco-anxiété peut également avoir des répercussions sur la vie professionnelle, avec une perte de sens, une grande dissonance cognitive : il s’agit d’un mal-être que l’on peut ressentir quand nos actions sont en inadéquation avec nos valeurs (par exemple prendre l’avion quand on a conscience de l’impact carbone que cela a et de ses conséquences sur le vivant).

Enfin, cela peut également entraîner des difficultés dans la vie sociale avec des problèmes relationnels, des conflits, des difficultés dans les couples, lorsque l’un est militant et pas l’autre, etc.

  • Comment faire pour diminuer cette anxiété ? Quelles sont les choses à mettre en place ?

Il existe 5 grands axes pour diminuer son éco-anxiété :

  • Prendre soin de soi : verbaliser sa souffrance, mettre son corps en mouvement, prendre un temps de pause informationnelle, etc.
  • S’engager dans le collectif : rejoindre une association, militer, échanger avec des personnes concernées par les mêmes préoccupations, etc.
  • S’engager dans la sphère professionnelle : être un ambassadeur du changement dans son entreprise, sensibiliser et informer, proposer des actions pro-environnementales, etc.
  • Transmettre, éduquer : essayer d’être inspirant pour les autres, sensibiliser les plus jeunes, faire preuve de bienveillance et de compréhension, etc.
  • Prendre soin du monde vivant : reprendre notre juste place dans l’écosystème, passer du temps en nature, retrouver la sensation d’émerveillement, etc.

Cependant, je pense qu’il est important de préciser que chacun doit trouver des solutions en fonction de qui il est. La chose à prioriser,  d’après moi, est de prendre soin de soi. Il faut aller bien soi-même, avant de mettre quoi que ce soit en place. Comme l’a souligné le chercheur Panu Pihkala, il faut réussir à trouver l’équilibre entre prendre soin de soi, vivre avec ce deuil global et passer à l’action. Il ne faut pas seulement se mettre en action, car cela peut souvent être une stratégie d’évitement, de déni : le « trop d’actions » peut couper la personne de son corps et de ses émotions.