L’eau en Bretagne, où en est-on ?

Enfant prenant de l'eau du robinet

un enfant prend l'eau du robinet pour remplir une bouteille - @ freepik

L’eau en Bretagne est impactée, comme ailleurs en France, par les activités humaines et les évolutions climatiques. Indispensable à notre société, elle bénéficie d’un réseau d’acteurs dense et les politiques publiques s’y intéressent de plus en plus. Pour autant, beaucoup de chemin reste à faire, en termes de réglementation, d’usage et aussi d’éducation. Il s’agit d’une responsabilité commune pour préserver cette ressource tarissable, les écosystèmes qui en dépendent et indirectement la santé des Bretons.
Thimothée Besse, responsable de la thématique de l’eau à l’OEB (Observatoire de l’Environnement en Bretagne) nous en parle.

Thimothée Besse, vous êtes chef de projet eau à l’OEB. En quoi cela consiste-il ?

Mon rôle est de réunir la donnée disponible sur l’eau, produite localement ou via des réseaux nationaux et locaux, de la traiter afin de la rendre lisible et interprétable à l’échelle de la région ou d’un territoire.

Il peut s’agir de données sur la qualité de l’eau, la ressource en eau, la présence de pesticides, l’occurrence de phénomènes liés à la sa qualité comme les proliférations d’algues vertes, de cyanobactéries ou de phytoplancton toxiques, etc.

Qu’est-ce que l’OEB ?

Il porte une mission de service public de la donnée environnementale en Bretagne avec des missions d’observation et de vulgarisation. Il produit des synthèses thématiques et met à disposition des données accessibles publiquement pour les administrations, les élus ou les associations comme Eaux et Rivières de Bretagne. L’OEB est financé par l’Etat et la Région, ainsi que des collectivités locales adhérentes. Il compte 22 salariés à Rennes.

Pourquoi l’OEB réalise-t-il des documents sur l’eau en Bretagne ?

Ces documents et les données publiées sont validés par des experts et les administrations. Cela permet de créer un référentiel de connaissances communes, qui fait foi et qui sert de supports aux débats et à l’action dans les territoires.

Nous avons édité en début d’année une première édition 2022 des « chiffres clé de l’eau en Bretagne » [lien] . Il s’agit d’un état des lieux des données disponibles et de la situation bretonne sur la thématique de l’eau qui sera actualisé tous les trois ans.

Que retenir de cette synthèse ?

Historiquement, la Bretagne s’est beaucoup attachée à la préservation de la qualité de l’eau. Des progrès ont été faits, mais on reste à des niveaux insatisfaisants, par exemple en terme de concentration en nitrates ou pesticides dans les rivières et les nappes d’eau souterraines.

Les nitrates sont présents en trop grande quantité dans l’eau des rivières, ce qui constitue une surcharge en éléments nutritifs dans l’eau. Cela dégrade la qualité des rivières et leurs écosystèmes. Cette eutrophisation déclenche le développement de micro-algues et de cyanobactéries potentiellement toxiques dans les eaux de baignade, mais aussi des proliférations d’algues vertes sur les plages. En bref, il perturbe l’écosystème de l’eau.

Les pesticides constituent quant à eux une pollution généralisée des eaux, liée aux usages du territoire : les activités agricoles, mais aussi leur utilisation par les communes et le grand public.

Des progrès ont été réalisés quant à la connaissance des substances pesticides dans l’eau. On sait qu’elles sont omniprésentes, mais on sait aussi que l’on ne peut voir que le haut de l’iceberg. Beaucoup de molécules ne peuvent pas encore être surveillées.

Par exemple, le Chlorothalonil, mentionné récemment dans la presse bretonne, même s’il est interdit depuis 2019, est encore présent dans l’eau des rivières. Il faudra plusieurs dizaines d’années pour qu’il disparaisse. Il en est de même pour l’Atrazine, détecté significativement dans une analyse d’eau sur 5, alors que son utilisation est interdite depuis 2003.

Les pesticides ont une action délétère pour l’organisme. Ils peuvent par exemple comporter des perturbateurs endocriniens ou des molécules cancérigènes. Il y a par ailleurs un effet cocktail des molécules entre elles qui reste très difficile à évaluer.

Certaines molécules sont parfois interdites mais remplacées par d’autres dont on maîtrise mal les impacts. Nous sommes dans une course à la connaissance.

Certaines zones bretonnes sont-elles plus exposées ?

La qualité de l’eau dépend des caractéristiques hydrologiques et des usages présents sur les bassins versants.

 

L’Ouest de la Bretagne présente de meilleurs résultats, car il y pleut davantage et le bocage y est plus présent, mais aussi en raison du relief et des caractéristiques géologiques des bassins versants. De ce fait, les milieux naturels peuvent plus facilement faire leur travail de filtre de l’eau.

L’Est de la région a des milieux aquatiques souvent plus dégradés, notamment en été car il souffre davantage de la sécheresse. L’Ille-et-Vilaine, notamment, est moins arrosée. Elle constitue une plaine avec des cours d’eau qui s’assèchent facilement.

La plus grande population des grandes métropoles et du littoral a aussi un impact. Les milieux les plus sensibles sont aussi souvent ceux qui reçoivent le plus de pressions.

Pourquoi ne fait-on pas plus de recherches alors qu’on connaît les conséquences de la dégradation de la qualité de l’eau sur la santé ?

Les analyses d’eau sont réalisées sur un nombre important de molécules et chacune coûte très cher. Les responsables de la dégradation de l’eau que nous sommes contribuons cependant à financer cette recherche via une redevance que nous payons auprès des agences de l’eau, via notre facture d’eau.

Y a-t-il des problèmes émergents autour de l’eau en Bretagne ?

Ainsi, le sujet du partage de l’eau et de la ressource en eau est venu bousculer les autres sujets de la pollution de l’eau, alors qu’ils ne sont déjà eux-mêmes pas encore résolus. On en revient à exploiter certains points d’eau pourtant mis de côté auparavant car trop pollués, pour éviter les pénuries.

C’est un dilemme. L’eau est là, mais encore faut-il qu’elle soit consommable à un coût sociétal acceptable.

Est-ce que les mentalités évoluent concernant notre consommation en eau ?

Le sujet du manque d’eau en Bretagne a été beaucoup repris dans les médias cette dernière année, et diffusé auprès des politiques, mais aussi du grand public.

D’ailleurs, le niveau de consultation de ces sujets explose sur le site internet de l’OEB [lien].

Politiquement, la Région Bretagne s’est donné un objectif de 0 pesticide de synthèse en 2040, dans le cadre de son SRADDET (schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire). Des projets de territoires pilotes « 0 pesticide » sont à l’étude. Certaines collectivités le font déjà pour la gestion des espaces verts. Il faudrait que cette dynamique arrive maintenant au secteur agricole. S’agissant des perturbateurs endocriniens, le sujet reste mal connu du grand public. Il y a encore beaucoup à faire en termes de sensibilisation.

Sur la question de la sécheresse, on peut aussi souligner l’arrivée cette année d’un plan national, d’un plan régional, et d’un plan interrégional de l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Les acteurs des bassins versants bretons s’organisent également, dans le cadre des Commissions Locales de l’Eau, pour mieux connaître leurs ressources en eau et la meilleure façon de les partager en prenant en compte les effets du dérèglement climatique.

Quelques mots positifs pour conclure ?

La Bretagne a beaucoup d’atouts géographiques. Son réseau hydrographique est très dense. C’est un avantage, sous réserve que nous arrivions à améliorer la qualité fonctionnelle des cours d’eau. Le Leguer (Lannion-Trégor) est un exemple de cours d’eau de bonne qualité, par les efforts de reconquête de la qualité de l’eau mais aussi par la qualité de son bocage et de ses zones humides qui lui permettent de bien jouer son rôle de « filtre ». Il a décroché le premier label « rivière sauvage ».

Des outils réglementaires existent aujourd’hui pour préserver le bocage, notamment au niveau des exploitations agricoles.

On sait malheureusement qu’on dégrade toujours plus vite qu’on ne restaure, c’est vrai pour le bocage ou les zones humides par exemple, mais on sait aussi ce qu’il faut faire pour préserver la ressource en eau. Les leviers sont multiples. Il y a, par exemple, des expérimentations locales pour n’utiliser l’eau potable que lorsqu’elle est nécessaire. Il n’existe pas de réseau de distribution de l’eau non potable pouvant être utilisée pour le nettoyage, les WC … comme il y en a un pour l’eau potable. Mais il existe des expérimentations d’utilisation de toilettes sèches à la place des chasses d’eau dans des habitats collectifs.

Au niveau des exploitations agricoles, on sent aussi un souhait de progresser, une remise en question de l’ancien modèle. Du côté des industriels, certains expérimentent l’utilisation des eaux usées pour nettoyer les bâtiments par ex.

Les chiffres clé de l’eau en Bretagne : lien
Le cycle de l’eau en Bretagne : lien