Depuis plus de 10 ans, Stéphanie Maguet accompagne les résidents, les familles et le personnel de l’EHPAD dans le difficile chemin de la perte d’autonomie et de la fin de vie. Comment fait-on pour aborder la mort en établissement ? Comment en parler ? Comment aider les familles endeuillées ? Autant de questions récurrentes auxquelles elle a appris à apporter des réponses.
Pouvez-vous vous présenter et en quoi consiste votre mission à l’EHPAD ?
Je suis Stéphanie Maguet, psychologue clinicienne à la résidence mutualiste du Ponant depuis 2008. Je propose une offre d’accompagnement psychologique en individuel et sous forme de groupes de parole pour les résidents et leurs familles.
Je soutiens les résidents au moment de leur arrivée dans ce nouveau lieu de vie, décision qui est bien souvent peu choisie. J’accompagne leur cheminement personnel face au « déclin » physique et psychologique, etc.
S’agissant de l’entourage familial, il est important de l’aider face au sentiment de culpabilité d’avoir « placé » son parent, face au deuil du parent (réel ou symbolique), face aux difficultés de « confier » son proche à une institution…
D’autre part, j’accorde une attention particulière aux espaces de créations et d’expressions artistiques (à l’intérieur mais également à l’extérieur de l’institution) permettant un accès à une autre forme de langage pour les résidents, souvent affectés par leurs difficultés fonctionnelles, corporelles qui tendent à limiter, à arrêter tout élan de création, parfois corrélé au sentiment de mésestime de soi et d’inutilité sociale et, laissant, parfois, entrevoir des éléments dépressifs sous-jacents.
D’autre part, j’accompagne les équipes dans l’élaboration de leur pratique, souvent, de fait, prise dans l’acte. Un travail favorisant une prise de recul, par un éclairage psychopathologique de la dynamique du sujet que nous accompagnons.
Qu’est-ce que la fin de vie vous évoque en tant que psychologue exerçant à la résidence mutualiste du Ponant à Brest ?
La résidence qui est un lieu de vie est également un lieu de mort.
Je perçois dans la clinique toute la complexité des dynamiques familiales. Les non-dits refont surface ; la douleur qui n’a pas pu être adressée reprend forme à travers de l’agressivité (dans la fratrie, à l’égard de l’institution). La question de « l’héritage » peut tendre le lien, parfois fragile, ou celle de la rivalité fraternelle.
Il est alors crucial d’entendre les attitudes d’agressivité, de revendications à l’endroit de l’institution, comme des témoignages de culpabilité, de souffrance et parfois de désarroi de l’entourage familial. L’accompagnement des familles aura un effet sur le résident.
Est-ce que le sujet de la fin de vie est abordé à l’EHPAD ?
Oui, bien sûr… avec les professionnels, sur des groupes de travail spécifiques à cette thématique, durant les réunions de transmissions, avec les familles …. Les échanges à ce propos font partie de notre quotidien. Avec les résidents également, spontanément pour certains, de façon « détournée » pour d’autres ; en parlant de la mort de certains résidents, les sujets âgés viennent nous parler d’eux-mêmes.
Je pense aussi à un Monsieur dont la fille avait très explicitement dit ne plus vouloir entendre parler de son père… Positionnement qui est venu se réinterroger au moment de la fin de vie du résident par les professionnels. L’institution devait-elle reprendre contact ? Au risque de faire effraction…
Est-ce que les directives anticipées sont rédigées par tous les résidents et est-ce utile ?
Elles ne sont pas rédigées par tous les résidents. Une proposition est faite dès l’accueil à la résidence.
Nous utilisons des planches format BD comme support d’illustration.
Il nous a également semblé moins anxiogène de « systématiser » cette proposition (ce qui ne veut pas dire insister) et de ne pas attendre un moment arbitraire qui pourrait laisser place à l’inquiétude « Pourquoi vient-on m’en parler maintenant ? Y a-t-il des éléments d’inquiétude concernant ma santé ? etc. »
J’ai une attention particulière à ce qui se joue en amont et en aval de la réalisation ou non-réalisation de cette rédaction.
Quel regard portez-vous sur les soins palliatifs proposés au Ponant ?
Nous travaillons avec l’Hospitalisation A Domicile afin de
permettre au résident et à son entourage familial d’être accompagnés au sein de la résidence. L’équipe du Ponant est très impliquée. Il est important pour le résident de traverser ce passage vers la mort avec la personne qui s’en est occupée au quotidien. Lorsqu’il y a une hospitalisation et que le pronostic vital est engagé, la première demande que j’entends des professionnels est « Il revient quand ? »….
Quel accompagnement faites-vous autour du décès d’un résident ?
Dans le cadre de l’accompagnement de fin de vie des résidents, il est nécessaire de pouvoir mettre en place différents types de « rituels » au sein de l’établissement. Afin d’accompagner le travail de deuil en favorisant la symbolisation de la perte pour les résidents mais également pour que les professionnels ne banalisent pas les décès ou – a contrario – ne s’en trouvent trop affectés.
La directrice de l’établissement annonce le décès de la personne au moment du déjeuner, moment de partage entre résidents. Il paraît important de mettre des mots sur ce qui pourrait être anxiogène dans la disparition d’un autre, semblable et qui n’est pas anonyme. Il permet aussi d’adresser un message en faisant montre du souvenir qui perdure au-delà de la mort, montrant ainsi qu’ « on » ne tombe pas dans l’oubli et que le décès n’est pas banalisé.
Un « Livre Souvenir » est posé dans un espace dédié à cet effet, en permanence. Toute personne peut y écrire quelques mots, quelques pensées, qui sont ensuite photocopiées et adressées à la famille du défunt.
Un bouquet de fleurs est acheté et déposé par la directrice ou l’infirmière coordinatrice auprès du défunt, qu’il repose au sein de l’établissement ou dans une chambre mortuaire.
Il est aussi offert un temps de collation, dans l’enceinte de l’établissement, pour la famille du défunt, qui peut ou non s’en saisir.
Nous faisons un « dernier au revoir » au résident en organisant une « haie d’honneur » ; les professionnels accompagnent le départ du cercueil au rez-de-chaussée de l’établissement, vers la « grande » porte d’entrée. Dernier hommage auquel tiennent les professionnels, pour que ce départ ne passe pas inaperçu, anonyme, banalisé.
Afin d’éviter les effets de surprises qui pourraient angoisser, nous prévenons les résidents qui ont le choix de participer ou non.
En outre, nous sommes attentifs aux effets d’« après-coup » en proposant un accompagnement psychologique au résident en demande.