La démocratie en santé

Rencontre avec Roland Ollivier, Président de la CRSA, Patrick Caré, Président du CESER et Fabienne Colas, Présidente de la Mutualité Française Bretagne.

– Quel est le rôle de vos instances respectives ?

Roland Ollivier : La conférence régionale pour la santé et l’autonomie (CRSA) a un rôle consultatif auprès de l’agence régionale de santé (ARS). Elle est obligatoirement consultée sur le Projet régional de santé (dont elle assure l’évaluation avec l’ARS), le projet régional santé/environnement, la stratégie régionale d’investissement en santé. Elle peut se saisir de toute question concernant la santé (entendue au sens large : champ du handicap, des personnes âgées, de la prévention). C’est ce que nous avons fait par exemple concernant la situation des EHPAD ou les problèmes de santé mentale rencontrés dans certains territoires. Ces avis sont pris en séance plénière.

La  CRSA, outre un fonctionnement en plénière, travaille aussi  avec quatre commissions : offre de soins, sociale et médico-sociale, usagers du système de santé, prévention et promotion de la santé. Ces commissions sont obligatoirement consultées par l’ARS dans leurs domaines de compétence. C’est le cas par exemple des lieux d’installations d’ imagerie par résonance magnétique (IRM),  de scanners, de la création de places pour des personnes en situation de handicap. La commission des usagers établit chaque année un rapport sur les droits des usagers, rapport discuté en plénière.

Patrick Caré : Le conseil économique social et environnemental régional (CESER) est l’assemblée consultative de la Région Bretagne, placée aux côtés de l’assemblée élue. Composé à parité de 120 hommes et femmes qui représentent la société bretonne, il a trois missions principales : rendre des avis sur les politiques régionales avant leur adoption (par exemple sur la santé, le logement, la lutte contre la pauvreté et la précarité, les conditions de vie des jeunes, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’économie sociale et solidaire…) ; réfléchir à l’avenir de la Bretagne et faire des propositions aux élu·es ; et enfin contribuer à l’évaluation des politiques publiques.

Fabienne Colas : À la Mutualité Française Bretagne, nous faisons la promotion des valeurs mutualistes et nous mettons en œuvre localement les orientations de notre fédération nationale. Nous intervenons pour expliciter les enjeux des mutuelles et nous prenons position sur des grands sujets de société : la santé mentale des jeunes, l’égalité femmes / hommes, la santé au travail, la dépendance, la fin de vie, etc. Nous avons à cœur de défendre une protection sociale durable. Nous appelons de nos vœux un véritable virage préventif.

– Vos instances permettent de susciter le débat. Comment cela participe-t-il à faire vivre la démocratie ? Et quels liens faites-vous ensuite avec les élus et les décideurs ?

Roland Ollivier : La CRSA utilise pleinement la possibilité d’organiser des échanges avec l’ARS sur tous les sujets qui intéressent ses membres. Elle a la maîtrise de ses ordres du jour qui comprennent régulièrement des sujets d’actualité. Par exemple, les tensions sur la démographie des professionnels de santé sont discutées et particulièrement pour ce qui concerne la continuité des soins et de l’accompagnement en période estivale. La CRSA, qui comprend un collège d’élus en son sein, est à l’écoute des remontées de terrain et cela contribue à faire le lien avec le décideur qu’est l’ARS.

Mais l’exemple le plus significatif est sans doute celui de la préparation du projet régional de santé (PRS) et de l’avis qui a été donné par la CRSA.

Pour préparer l’avis de notre instance, nous avons organisé avec l’ARS  des séances de travail en ateliers, des entretiens avec les membres de la CRSA qui le souhaitaient et une consultation citoyenne par internet ( plus de 4000 réponses). La CRSA ne s’est pas prononcée en faveur du projet régional de santé qui lui a été présenté, notamment en raison de la position d’élus et d’instances professionnelles, dans un contexte de tensions très fortes pour pouvoir continuer à assurer la continuité des soins et de l’accompagnement.

Le dialogue s’est poursuivi avec l’ARS et un contrat de méthode a été signé entre elle et la CRSA pour travailler sur des priorités de santé et agir de façon la plus concrète sur les territoires.

Patrick Caré : Le CESER est composé d’une très grande diversité d’organisations et de personnes, aux parcours et aux points de vue différents. C’est donc un lieu de débats parfois animés, mais c’est toujours la recherche de l’intérêt général qui prime. Cela prend du temps : le temps de l’écoute, de la recherche de ce qui rassemble, de la compréhension des points de désaccords, de la recherche de solutions partagées. C’est un vrai espace de réflexion et de délibération, essentiel au fonctionnement démocratique car c’est le lieu où les représentants et représentantes de la société bretonne peuvent donner leur avis, être entendus et améliorer ainsi les politiques publiques.

Fabienne Colas : Nous sommes élu.e.s par les adhérent.e.s de nos mutuelles respectives. On a coutume de dire en Mutualité : « un homme (ou une femme), une voix ». Au sein de la Mutualité Française Bretagne, nous veillons à rassembler tant les petites mutuelles que les grands groupes mutualistes pour porter toutes et tous ensemble les valeurs d’égalité et de solidarité. Nous détenons de nombreux mandats pour favoriser l’expression mutualiste. Nous bénéficions également de la confiance des décideurs en santé qui financent nos programmes de prévention.

– Que mettez-vous en place au sein de vos instances pour qu’elles soient représentatives de la société ?

Roland Ollivier : La composition de la CRSA est fixée par voie législative et règlementaire avec une désignation de ses membres (sur proposition de leurs mandataires) par collèges. Sont ainsi représentés : les usagers, les professionnels, les élus, l’assurance maladie, la mutualité, des personnalités qualifiées. À travers les sujets que nous abordons, il y a une volonté d’aborder toutes les préoccupations des Bretons en matière de santé. De plus, une attention toute particulière est portée à la représentation des usagers pour que remonte l’expression du terrain. Nous fonctionnons également en étroite association avec les conseils territoriaux de santé (CTS) qui portent la voix de la population de leur ressort.

Patrick Caré : C’est le Préfet de région qui compose l’assemblée du CESER et s’assure de sa représentativité. Bien sûr, elle ne peut jamais être parfaite, mais on y trouve néanmoins les différentes composantes de la société que l’on s’attache ensuite à faire travailler ensemble, dans toutes nos instances et sur tous les sujets qui intéressent l’avenir de la Bretagne. Il est important aussi pour le CESER de s’ouvrir très largement à d’autres acteurs. Sur chacun des sujets que nous traitons, nous nous attachons à aller à la rencontre des personnes qui sont les premières concernées. Nous avons aussi favorisé le travail avec d’autres instances, telles que les Conseils de développement, et les CESER des autres régions.

Fabienne Colas : Nous avons un réel défi à relever pour mobiliser les jeunes générations et assurer le renouveau mutualiste. Notre modèle est méconnu. Nous développons diverses actions pour y remédier : Forum santé jeunes, appel à projet de jeunes, intervention dans les facultés, escape game. La Mutualité Française est « une vieille dame » mais elle a toujours su s’adapter et se renouveler.

-Suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale, il n’y a pas eu d’élection de députés d’extrême droite en Bretagne. Comment expliquez-vous cela ?

Roland Ollivier : Le président de la CRSA, dans ses fonctions n’a pas à commenter l’expression du suffrage universel (le champ de la démocratie politique).

Dans le champ de la démocratie en santé, en Bretagne, on  peut indiquer qu’elle fonctionne parce que chacune de ses composantes agit avec le respect des autres en toute franchise. Le débat est possible, les choses se disent directement dans une démarche constructive. Cette démocratie en santé fonctionne parce que les désaccords peuvent être mis sur la table et qu’au final on arrive souvent à ce que le collectif soit supérieur à la somme des intérêts particuliers. Toutefois, un point de vigilance : celui du respect de notre rôle. Il y a encore un peu de chemin à faire dans la  consultation réelle car parfois au vu de l’urgence énoncée et des directives  » d’en haut » nous pouvons être oubliés dans la préparation de la décision publique.

Patrick Caré : Il ne m’appartient pas non plus de commenter le résultat d’une élection. Ce que je peux dire, c’est qu’il y a en Bretagne une habitude de dialogue, que l’on mesure en discutant avec nos collègues des autres régions : dialogue entre les élus et la société civile, entre les collectivités territoriales (région, départements, métropoles, intercommunalités), avec les représentants de l’Etat en région… cela fait partie de la vie institutionnelle, ce n’est pas toujours très connu ni très visible mais c’est une vraie force pour la vie démocratique à laquelle le CESER contribue.

Fabienne Colas : La Bretagne est une région très ouverte sur le monde avec un tissu associatif et un monde culturel très forts. Cela explique sans doute en partie la marginalisation du vote en faveur des partis d’extrême droite. Nous observons toutefois un recul du barrage républicain. Il faut absolument soutenir tout ce qui favorise une citoyenneté responsable. En cela, la CRSA et le CESER sont des instances précieuses qui permettent le dialogue, la concertation et le consensus grâce à un respect mutuel. Je suis fière d’y représenter la Mutualité.