Citoyenne aujourd’hui, maire demain ?

13% en 2008, 16% en 2014 et 21% en 2020, le pourcentage de femmes maires progresse mais il reste encore du chemin à faire. Pourquoi les femmes s’engagent-elles moins en politique que les hommes ? Quels sont les freins et comment cela évolue-t-il ? Ahez Le Meur nous en parle suite à l’étude-action menée en Bretagne à l’occasion des dernières élections municipales.

Ahez Le Meur, vous êtes directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité à la Préfecture de la région Bretagne, en quoi cela consiste-t-il ?

Je suis en charge de décliner la politique gouvernementale sur les questions d’égalité hommes femmes, sous l’autorité du préfet de région. Cela porte aussi bien sur la promotion de la culture de l’égalité, la lutte contre les violences faites aux femmes, ou encore la question de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. La Direction régionale, et son réseau de Déléguées départementales portent cette politique en lien avec l’ensemble des acteurs du territoire (services de l’État, collectivités, associations, opérateurs, etc.).

Pouvez-vous nous parler de la démarche de parité menée en Bretagne à l’occasion des dernières élections municipales ?

Nous sommes partis du constat que la part des maires femmes restait faible, même s’il est en progression. On comptait 16% de maires femmes en 2018, 13% en 2008 et 10% en 2001.

Nous avons donc réuni dès 2017 différents acteurs de la région concernés par le sujet (le Conseil Régional, les Associations des Maires de France, l’association spécialisée Elles aussi, Rennes 1, Sciences Po, etc.) pour mener une enquête et voir comment faire bouger les lignes.

Nous avons interrogé les élues en poste pour connaître les freins et en tirer des conséquences pour agir en vue des élections municipales de 2020. 734 élues bretonnes ont répondu au questionnaire.

Quels ont été les principaux constats ?

A travers cette enquête réalisée, apparaît un partage du pouvoir en politique largement défavorable aux femmes.
Les postes à plus forte responsabilité (maire, 1er adjoint) ou les délégations stratégiques (développement économique, urbanisme) sont quasi systématiquement occupés par les hommes.
Les femmes sont plutôt positionnées sur les délégations associées traditionnellement aux profils féminins : l’éducation, la santé, les affaires sociales, la culture…
Ces dernières ne semblent pas être en charge des délégations « tremplins » permettant d’évoluer ensuite vers des postes à plus grande responsabilité.
L’exécutif serait ainsi monopolisé par les hommes dans les fonctions les plus stratégiques et donc les plus prestigieuses avec un faible turn-over dans ces postes.

On voit pourtant beaucoup de femmes sur les listes électorales

Je rappelle avant tout qu’il y a une obligation de parité au niveau des listes électorales s’agissant des communes de plus 1000 habitants. Les femmes sont ainsi très sollicitées pour faire partie des listes, surtout quand elles sont engagées dans des associations locales, par rapport à ce qu’elles représentent socialement. Valorisées parce qu’issues de la société dite « civile », pour leur distance vis-à vis du politique, ces femmes revendiquent peu, une fois élues, le fauteuil de maire. Loyales vis-à-vis de la tête de liste qui les a choisies, pour certaines profanes aux arcanes politiques, elles ont des chances moindres d’accéder à la plus haute fonction élective de l’exécutif municipal. Celles-ci restent majoritairement cantonnées aux postes à moindres responsabilités. Par ailleurs, il subsiste une idée reçue selon laquelle les femmes feraient de la politique autrement. Le féminin, encore trop peu associé au pouvoir dans l’imaginaire collectif, contribue à cantonner ces élues à des fonctions moins valorisées.
Souvent, les femmes qui accèdent aux postes à fortes responsabilités ont déjà, dans leur entourage familial ou amical, un élu : cela apparaît comme un levier favorisant l’entrée en politique.

Quels sont les freins à l’entrée en politique des femmes ?

De nombreux stéréotypes persistent, comme évoqué précédemment, qui peuvent faire peur et décourager les femmes elles-mêmes. Pour les femmes, l’articulation vie professionnelle et vie personnelle reste aussi une difficulté. Les élues ont une triple journée : il faut être une bonne élue, une bonne femme, et rester efficace au travail. L’absence de jeunes mères dans les conseils municipaux confirme qu’il reste difficile d’assurer un mandat avec des enfants à charge. Si le temps est peu souligné comme un problème pour les hommes, il le reste pour toutes les femmes interrogées. Enfin, les comportements et violences sexistes existent et restent souvent banalisées, ce qui peut constituer un frein à l’engagement ou inciter au désengagement…

Comment la situation a-t-elle évolué depuis ?

Nous avons mis en place un plan d’action en lien avec le Conseil régional, visant à démultiplier les manifestations dans les territoires avant les élections de 2020, pour évoquer les enjeux existants en termes de parité et donner envie aux femmes de s’engager. A la suite des élections municipales de 2020, 21.1% des maires élus en Bretagne étaient des femmes (contre 19,8% au niveau national). 42% des postes de premiers adjoints étaient occupés par des femmes (contre 33% au niveau national). Nous avons également constaté une belle progression au niveau des présidences et vice-présidences d’EPCI (établissements publics de coopération intercommunale).
Cette progression est significative, mais il reste encore du chemin.

Quels sont les prochaines actions prévues en faveur de la parité en politique en Bretagne ?

L’État et la Région souhaitent poursuivre leur action : il faut continuer à accompagner les nouvelles équipes des communes et EPCI dans le développement des politiques égalité femmes/hommes. Dans ce cadre, une expérimentation a été lancée par la Région avec plusieurs EPCI. Nous souhaitons également voir se développer l’offre de formation à destination des élus et agents des collectivités sur la mise en œuvre des politiques égalité. Des échanges sont engagés en ce sens notamment avec le CNFPT (centre national de la fonction publique territoriale). Surtout, il faut continuer à mettre en avant des modèles de femmes ayant osé sauter le pas et faire réseau pour montrer à celles qui hésitent encore que c’est possible. 85% des femmes maires encouragent d’autres femmes à briguer la fonction de maire. Elles apprécient très majoritairement leur fonction, qu’elles qualifient d’enrichissante et apprécient de travailler pour l’intérêt général, en équipe.