44ème Congrès de la Mutualité Française : Inspirons les solutions de demain

À l’approche du prochain congrès de la Mutualité Française, nous avons souhaité faire le point sur les suites du 43ème congrès en 2022 et les objectifs à venir. Rencontre avec Éric Chenut, Président de la Mutualité Française.

À l’issue du 43ème Congrès de la Mutualité Française, vous affirmiez votre souhait que les protections sociales ne soient pas réduites à un rôle de guichet payeur. Il fallait requestionner le socle socialisé et les solutions mutualisées. Qu’en est-il depuis ?

Depuis le Congrès de Marseille, nous avons pu avancer sur le financement des protections sociales durables. Des réflexions ont également été menées sur le rôle de la Mutualité Française, en nous questionnant sur notre avenir dans 10 ans, nos métiers, le devenir de la couverture en santé, la prévoyance, etc. Nous souhaitons rester fidèles à notre ADN mutualiste, et parvenir à faire fonctionner l’assurance, la gestion et la prévention des risques santé de manière efficiente et solidaire. Un premier niveau de réponse a été présenté en septembre 2024, les travaux sont encore en cours et ils s’achèveront fin 2025.

Le congrès d’Agen se veut utile pour les mutualistes, Il s’agit de questionner un certain nombre de sujets, avec pour objectif de s’outiller pour faire en sorte que nos mutuelles, quelle qu’elles soient, puissent se développer et répondre à l’ensemble des situations de vie de nos adhérents.

Quels seront les enjeux de ce 44ème Congrès de la Mutualité Française ?

Au regard des débats actuels au sujet des finances publiques, une question ressort : avons-nous encore les moyens de notre modèle social ?

Notre volonté, ce n’est pas de prendre ces sujets-là par le petit bout de la lorgnette, avec une vision purement budgétaire et court-termiste, mais au contraire, de parvenir à reprendre de la hauteur. À la fois parce que ce sont les 80 ans de la sécurité sociale, mais également parce que nous sommes à l’aune d’une transition numérique, écologique mais surtout démographique, qui ont toutes trois un impact essentiel sur les besoins en santé, mais aussi sur les modalités de financement de notre modèle. Nous devons donc réinterroger un certain nombre de choses.

D’une part, l’organisation du système de santé : l’organisation du territoire, l’aménagement, que ce soit des soins de ville ou des soins hospitaliers, du sanitaire comme du médico-social, tout cela, ne peut se faire aujourd’hui et demain, comme cela se faisait dans les années 80. Il faut réfléchir pour utiliser au maximum les nouvelles technologies, les données, l’IA, la structuration du parcours, etc. L’objectif final étant toujours de répondre le mieux possible aux besoins et à l’accompagnement des patients.

D’autre part, il faut réinterroger le financement de la protection sociale au sens large : santé, prévoyance, dépendance, retraite, épargne.

Sur l’aspect santé, on peut voir une dynamique des dépenses de santé qui, ces dernières années, est beaucoup plus rapide que l’évolution de la richesse nationale. Deux options s’offrent à nous, soit nous laissons les choses en l’état et les déficits vont être amenés à se creuser, soit au contraire, nous regardons attentivement ces dépenses et nous travaillons sur la manière de réguler cette dynamique croissante des dépenses. Il y a plusieurs solutions :

  • Par l’efficience, notamment sur la pertinence des prescriptions, à partir des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS).
  • En luttant contre toutes les formes de fraudes, parce que les fraudes évoluent et augmentent, donc il faut changer la législation pour se donner les moyens et les outils d’agir puissamment.
  • En luttant contre la financiarisation de la protection sociale et particulièrement de la santé, qui coûte cher et désorganise le système de santé.
  • En réinterrogeant le périmètre du contrat solidaire et responsable, a minima, à brève échéance : le contrat plancher, pour éviter que nous soyons obligés d’aller chercher des contrats non-responsables pour avoir des couvertures accessibles économiquement, et permettre aux gens d’être couverts sur les soins essentiels.

Voilà le regard que nous portons aujourd’hui sur ces enjeux, avec l’idée également que nous devons étendre les protections : généralisation de la prévoyance, développement d’une couverture dépendance et promotion de l’épargne populaire mutualiste afin d’anticiper les projets futurs.

Plus globalement, derrière ces interrogations, se pose une question éminemment politique : quelle part de richesse, on souhaite, on veut, on peut, consacrer à la protection de toutes et tous ? Et une fois que nous avons déterminé cette part de richesse dans 10 ans, 20 ans, comment nous la répartissons ? Il ne s’agit pas de questions techniques, de questions budgétaires, mais de vraies questions politiques dont l’objectif est de construire un projet de société. C’est donc cela que nous essayons de nourrir au maximum le débat public, afin que cela puisse être arbitré lors des présidentielles de 2027.

Ce sont tous ces enjeux que nous souhaitons porter dans le Congrès, afin que ce temps fort soit utile aux acteurs de la protection sociale solidaire, mais plus largement à l’ensemble de la société.

En tant que Président de la Mutualité Française, quel message souhaitez-vous adresser aux mutualistes et à leurs partenaires à l’approche de ce Congrès ?

Nous travaillons tous ensemble au quotidien pour porter ces sujets dans la société. Il faut faire en sorte que nos concitoyens s’en emparent. Cela demande un travail d’éducation populaire, mais aussi d’organisation de débats, sur le plan national comme sur les territoires, afin d’outiller les citoyens. Ce sont eux les premiers concernés, car ce sont eux qui contribuent via leurs cotisations sociales, fiscales et mutualistes. Le Congrès est un espace de démocratie sociale, de démocratie en santé afin de nourrir ces débats et de faire en sorte que petit à petit, il y ait un consensus ou un compromis à construire sur ces enjeux dans les deux ans à venir, C’est notre objectif.

Comment envisagez-vous l’évolution du modèle mutualiste dans les années à venir ?

Le modèle mutualiste doit continuer à s’adapter sur les champs de la complémentaire santé et de la prévoyance, tel que nous l’avons toujours fait. Sur la dépendance, nous espérons que la proposition que nous portons avec France Assureurs puisse aboutir, et que nous puissions la déployer. Enfin, sur le champ de l’épargne et de la retraite, nous devons continuer à outiller et accompagner nos concitoyens.

Concernant l’offre de soins et de services sociaux et médico-sociaux, l’enjeu, c’est de questionner la place du non-lucratif dans notre pays, en complémentarité des services publics. Nous prônons des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens afin de mieux structurer les politiques publiques et d’accompagner les acteurs et opérateurs retenus. Nous questionnons aussi le fait que certains secteurs doivent être protégés de la prédation lucrative de certains acteurs, qui ont tendance à désorganiser le système. Faut-il mettre certains secteurs hors marché ? Ou, faut-il acter que tous les acteurs ont leur place, mais donc de prévoir des critères de qualité intangibles avec des règles de jeux communes ? Ce sont des sujets que nous souhaitons porter dans le débat public parce que nous avons vu ces dernières années, que ce soit dans le secteur des crèches ou des EHPAD, un certain nombre de dérives. Le Sénat a fait un rapport très descriptif l’année dernière, des problématiques que cela pouvait poser, et la Caisse Nationale d’Assurance Maladie a parlé de bulles spéculatives il y a deux ans. Nous observons donc une prise de conscience des pouvoirs publics, maintenant il est donc temps, même urgent, d’agir.

La Mutualité a également accéléré son action en faveur de la jeunesse, cela s’est notamment traduit en Bretagne par 2 forums jeunes à Brest qui ont rassemblé plus de 200 jeunes. Pourquoi ?

Le projet mutualiste a toujours été l’émancipation des personnes protégées. Cela nous semblait donc important de se questionner sur comment la façon dont nous pouvons accompagner les jeunes à prendre leur autonomie. Par ailleurs, nous avons pu voir pendant la crise sanitaire que beaucoup de jeunes ont été fragilisés. Nous avons donc souhaité les rencontrer afin de savoir comment ils allaient.  Nous ne nous voyions pas construire des solutions pour les jeunes, sans réfléchir avec eux. C’est pour toutes ces raisons que nous avons décidé d’organiser des forums jeunes durant le premier semestre 2024. Ces temps forts ont permis d’entendre leurs vécus, leurs analyses, leurs préoccupations, c’était extrêmement éclairant. Cela nous a permis également de constater que lorsque nous leur proposons des espaces pour prendre la parole, ils s’en emparent, pour échanger pour eux et pour les autres.

À la suite de ces sept forums, nous avons tiré des conclusions qui nous ont permis de comprendre leurs priorités, et voir que leur état de santé n’était pas si bon que nous l’espérions. La réflexion s’est ensuite poursuivie avec eux afin qu’ils puissent trouver des espaces d’engagement dans la société et dans le monde mutualiste, ce qui prolongera les travaux jusqu’à l’hiver 2025.

Dans un contexte où les conflits s’exacerbent (ESS, environnement, géopolitique) et où l’extrême-droite mobilise de plus en plus, comment la Mutualité Française peut-elle agir ?

En étant elle-même, c’est-à-dire un espace de démocratie, en créant des espaces pour que les gens échangent et réfléchissent ensemble, y compris sur des sujets complexes.

En étant nous-mêmes, en apportant des réponses de proximité, en ne délaissant pas les territoires.

En étant nous-mêmes, en réinterrogeant, comme nous l’avons fait tout au long de notre histoire, le fonctionnement de la mutualisation et des solidarités, parce qu’il faut en permanence ajuster au plus juste.

En étant nous-mêmes, aussi dans le rapport de force, exigeant lucidité et pragmatisme  vis-à-vis des pouvoirs publics et des politiques publiques, parce qu’il y a des choses qui fonctionnent bien et d’autres un peu moins bien.

En créant des espaces, en montrant que nous pouvons faire différemment et qu’il n’y a pas de fatalité à quoi que ce soitIl y a simplement une vision de la société et du monde.

En déconstruisant aussi un certain nombre d’idées qui peuvent prospérer, comme nous l’avons fait il y a deux ans, quand certains voulaient passer par pertes et profits l’Aide Médicale d’État (AME) en estimant que c’était trop cher. Nous avons rappelé qu’au-delà des enjeux humanistes, de ne pas laisser des gens malades sur notre territoire, il y a des enjeux de santé publique, que nous avons très bien observés pendant la crise sanitaire. Les virus n’ont pas de passeports et s’affranchissent des frontières, donc c’est de notre intérêt commun de soigner les gens quand ils sont sur notre territoire.

À l’heure où nous observons un certain relativisme de la culture scientifique, il est important que nous réaffirmions la culture scientifique, la vérité des faits, en ayant un discours clair des faits démontrés scientifiquement et médicalement, et en soulignant que nos réponses et notre vision de la santé publique s’appuient là-dessus.